vendredi 21 mai 2010

Jacques Attali rappelé à la réalité par les députés - Patrick Roger

Le Monde - Politique, vendredi, 21 mai 2010, p. 11 Quel bilan tirer de la mise en oeuvre des 316 " décisions " formulées en janvier 2008 par la commission pour la libération de la croissance présidée par Jacques Attali ? L'exercice s'impose d'autant plus, aux yeux des parlementaires, que la commission s'est vu confier par le président de la République, le 23 février, une nouvelle mission s'inscrivant dans le prolongement de la première. Et que les élus n'avaient guère apprécié d'être alors mis devant le fait accompli d'une commission dont ils avaient été tenus écartés.

Cette fois, les députés ont souhaité entendre M. Attali avant que la commission se mette à l'ouvrage et non à l'issue de ses travaux. L'audition prévue mercredi 19 mai devant la commission des finances de l'Assemblée nationale devait permettre de confronter les " ambitions " et les " résultats ". Après avoir assuré qu'il consentait " avec plaisir " à " bavarder " avec les élus, M. Attali a écarté toute autocritique sur les propositions de la commission. Le seul problème, selon lui, est qu'elles n'aient pas toutes été retenues. " Je n'ai aucun remords, c'est leur mise en oeuvre qui a manqué ", a-t-il affirmé.

Coût fiscal

Dans quelle mesure la crise économique pourrait-elle modifier son appréciation et certaines de ses propositions ? " Le rapport n'est pas en cause. Nous avions écrit que la crise, si elle s'intensifiait, devrait nous conduire à aller encore plus vite. Si cela n'a pas été fait, ce n'est pas la faute de la commission ", répond son président.

Les députés ne cachent pas leur agacement. Plusieurs d'entre eux - majorité et opposition confondues - critiquent vertement les conséquences de la loi de modernisation de l'économie, traduction législative des propositions de la commission visant à renforcer la concurrence. Ils constatent, à l'instar de René Couanau (UMP, Ille-et-Vilaine), " la dégradation qui s'en est suivie ". Michel Bouvard (UMP, Savoie), vice-président de la commission des finances, s'interroge sur le coût fiscal des mesures qu'avait envisagées la commission. L'heure n'est plus, rappelle-t-il, à la dépense fiscale.

Pour la plupart des parlementaires, la profondeur de la crise impose de revoir la perspective dans laquelle s'inscrivait la commission. Pierre-Alain Muet (PS, Rhône) juge son rapport " déconnecté des réalités ". " L'ère de la dérégulation est derrière nous. C'est un tout autre rapport qu'il nous faut écrire aujourd'hui ", estime-t-il.

" Quelles leçons en tirez-vous ? ", interroge Aurélie Filippetti (PS, Moselle). " Le problème, c'est que ce pays n'a plus confiance en lui-même ", assure M. Attali. Quant à l'idée d'introduire des règles plus contraignantes dans le jeu de l'économie financière : " Ça me fait penser à l'histoire de l'ivrogne qui cherche sa clé au pied d'un réverbère. Non pas parce qu'il l'a perdue là, mais parce que c'est là qu'il y a de la lumière ", conclut-il. Personne n'a ri.

Patrick Roger

PHOTO - French economist Jacques Attali delivers a speech during a conference at the opening of the TFWA (Tax Free World Association) exhibition in Canne, southeastern France, October 19, 2009. The TFWA is the World's largest Duty Free and Travel Retail Association, with a membership of around 400 brand-owning companies representing thousands of products supplied to the global duty free and travel retail markets.

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