(Singapour) - Quand on évoque aujourd'hui l'amélioration du modèle chinois, cela a une signification particulière. Il s'agit d'insister sur le caractère progressif du modèle et d'éviter ainsi tout changement radical. Un modèle doit être en progression, faute de quoi il risque de dégénérer et de perdre sa capacité à s'adapter, ce qui donnera lieu à des évolutions radicales. Avoir conscience de ses lacunes permettrait au modèle chinois de prévenir le déclin, et de conserver une avance sur les modèles avec lesquels il est en concurrence. Le système économique chinois comporte un très vaste secteur étatique, ce qui lui permet une intervention efficace dans les services de base ou la construction d'infrastructures. C'est aussi très utile pour répondre aux crises. Mais il a aussi ses lacunes. Ici, l'amélioration du modèle consisterait à rechercher des équilibres. Il faut pouvoir déterminer les limites de ce secteur étatique. On ne peut le laisser se développer sans borne, en empiétant sur le secteur privé. Ces deux secteurs doivent chacun bénéficier d'un espace suffisant pour pouvoir se concurrencer de manière équitable.
D'autre part, il faut clarifier les fonctions respectives du gouvernement et du marché. Encore une fois, il convient de trouver un point d'équilibre entre le développement économique et celui de la société. La société harmonieuse que prône la sphère dirigeante chinoise constitue un bien bel objectif, mais les moyens concrets utilisés pour l'atteindre sont incohérents. Le gouvernement n'a qu'une politique économique et délaisse complètement le volet social.
Le social est sacrifié sur l'autel de la croissance
Ainsi, une série de réformes sociales sont nécessaires, notamment dans les domaines de la santé publique, de l'éducation ou encore du logement. Dans tous les pays, ces domaines nécessitent de lourds investissements de la part de l'Etat. Mais ce n'est pas le cas en Chine. Là où l'Etat devrait intervenir fortement, des individus font fortune du jour au lendemain. En l'absence de politique sociale affirmée, le social est souvent sacrifié sur l'autel de la croissance. La société chinoise est entrée dans un cercle vicieux qui fait que plus le développement économique est rapide, plus la situation sociale se dégrade ; plus la société est faible, plus le développement économique devient insoutenable. La Chine doit sortir de la situation où un Etat riche est à la tête d'une population pauvre. Faute de quoi les instances dirigeantes risquent de devenir ce gouvernement pilleur dont parlent les intellectuels. La lutte contre la pauvreté, la hausse des revenus tirés du travail, l'amélioration de la structure de l'appareil de production (encourageant notamment le développement des petites et moyennes entreprises) ou la réforme du système fiscal sont autant de pistes pour modifier le schéma "Etat riche, population pauvre" et instaurer la justice sociale. Pas de stabilité sociale sans justice sociale, laquelle légitime la capacité d'un gouvernement à diriger un pays.
Sur le plan politique, c'est la même chose. Le succès politique chinois est né de l'ouverture. Aujourd'hui il n'y a pas assez d'ouverture. Cela favorise la formation de groupes d'intérêt qui bloquent le progrès des réformes. Depuis les années 1990, l'ouverture politique s'est étendue aux entrepreneurs privés. Il fallait intégrer ce nouveau groupe social au processus politique. Mais il ne faut pas pour autant oublier les autres groupes sociaux. Dans le secteur économique, les chambres de commerce sont de plus en plus puissantes, mais qu'en est-il des syndicats ? Si ces derniers ne peuvent pas se faire entendre, les ouvriers sont en position de faiblesse face aux organisations patronales. Les faibles doivent aussi être autorisés à s'organiser. Sinon, le déséquilibre s'instaure. Il est du ressort du parti au pouvoir et du gouvernement de garantir un juste équilibre entre les groupes sociaux. Ce n'est qu'ainsi que la société sera stable.
Aujourd'hui, les obstacles institutionnels à la réforme sont très grands, comme si toute réforme aboutissait à la destruction du système, au lieu de le régénérer. Où est le coeur du problème ? Deng Xiaoping avait proposé en son temps de "traverser le gué à tâtons". De nos jours, personne n'ose se lancer comme lui. A chaque fois qu'une nouvelle politique est annoncée, des groupes d'intérêt trouvent le moyen de s'en servir pour se remplir les poches. La réforme du logement l'illustre bien, puisqu'elle a entraîné une flambée des prix immobiliers. C'est aussi le cas dans d'autres secteurs, comme la santé ou l'éducation.
Une seule solution, l'ouverture politique
Deng Xiaoping était assurément un grand homme. A son époque, nombreux étaient les groupes d'intérêt constitués qui voulaient faire obstacle à ses réformes. Aussi n'a-t-il pas cherché à les attaquer de front. La réforme des villes s'annonçait par exemple très difficile. Deng a donc décidé de réformer d'abord les campagnes. La réforme des entreprises publiques était très ardue, il a donc choisi de ne pas la lancer tout de suite, mais de chercher à développer d'abord le secteur non étatique. Il a suivi ainsi la voie économique de l'ouverture, avec pour résultat l'émergence de nouveaux intérêts colossaux qui lui ont servi à vaincre les anciens groupes d'intérêt. C'est ce qui explique toute la réussite de Deng Xiaoping. De nos jours, le niveau d'ouverture n'est pas suffisant. Les nouveaux éléments, qui ont joué un rôle important dans les réformes et l'ouverture du pays sur l'extérieur, sont désormais devenus des intérêts acquis, opposés à davantage d'ouverture.
En l'absence de grande figure politique, comment parvenir à une amélioration du modèle chinois ? La seule issue est l'ouverture politique. La plupart des pays occidentaux atteignent cet objectif grâce au multipartisme, mais il existe d'autres méthodes. Prenons l'exemple de Singapour. Bien que le territoire soit depuis toujours dominé par un puissant parti unique, il a su conserver un régime ouvert. Le parti au pouvoir en Chine a déjà tiré de très nombreux enseignements de son propre parcours historique et des bouleversements politiques en Union soviétique et en Europe de l'Est. Comment peut-il trouver en lui-même une ouverture durable ? Cela constituera toujours le défi le plus sérieux. Pourtant, de toute évidence, s'il veut éviter de sombrer dans la corruption, s'il veut éviter des transformations radicales provoquées par la société, le parti au pouvoir doit absolument relever ce défi.
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