mercredi 12 mai 2010

L'Europe s'alarme de l'explosion du coût du réacteur à fusion nucléaire ITER

Le Monde - Environnement & Sciences, jeudi, 13 mai 2010, p. 5

Qui va payer ? C'est une question à 15 milliards d'euros, peut-être davantage : le prix - réactualisé - du réacteur à fusion nucléaire ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor) de Saint-Paul-lès-Durance (Bouches-du-Rhône), près du centre atomique de Cadarache.

A l'origine, son coût était chiffré à 4,6 milliards d'euros pour les dix ans de construction : 45 % à la charge de l'Europe et 9 % à celle de chacun des six autres partenaires (Chine, Corée du Sud, Etats-Unis, Inde, Japon et Russie). A quoi s'ajoutent 4,8 milliards d'euros pour les vingt ans d'exploitation. Mais le budget explose, en raison de l'évolution de la conception du réacteur et du renchérissement des matériaux.

La contribution de l'Europe (via Euratom) à la phase de construction, fixée au départ à 2,7 milliards d'euros, atteindra 7,2 milliards d'euros : un surcoût de 4,5 milliards d'euros, dont 1,4 milliard à trouver en 2012 et 2013. Quant à la quote-part des partenaires étrangers, difficile à évaluer parce que fournie en nature (matériels et composants), elle va, elle aussi, grimper. La Commission européenne vient de demander que le Conseil et le Parlement " se saisissent d'urgence de cette question ". Elle ne voit que deux solutions : un financement complémentaire par les Etats membres, ou une augmentation de l'effort communautaire. Une gageure, dans le contexte économique actuel.

Pour l'heure, le site n'est qu'une esplanade de terre ocre gagnée sur la garrigue, au bord de la Durance. Une plate-forme nue de 40 hectares, dont le nivellement a nécessité le déblaiement de plus de 2 millions de mètres cubes de matériaux : l'équivalent de la pyramide de Khéops. Le réacteur, dont l'assemblage doit commencer cet été, ne sera pas moins imposant : un colosse haut de 60 mètres, pesant 23 000 tonnes, dont 8 000 tonnes pour le coeur de la machine, soit autant que la tour Eiffel. Tout est ici gigantesque, à l'image de la route à grand gabarit aménagée au sud du Lubéron, pour permettre le transit, depuis le port de Fos-sur-Mer, des 300 convois exceptionnels qui, pendant cinq ans, achemineront les pièces du réacteur.

C'est à ces conditions, disent les promoteurs du projet, que l'homme peut espérer, un jour, maîtriser les réactions de fusion thermonucléaire qui s'opèrent dans le coeur du Soleil. Et disposer ainsi d'une énergie presque inépuisable. " Rêve prométhéen ", " chantier pharaonique ", rétorquent ses détracteurs. A commencer par les écologistes, qui ont décidé de faire d'ITER... un moteur pour le développement des énergies vertes. Celles-ci vont connaître, sous le soleil de la Provence, un essor inespéré, bien avant que la fusion ne produise ses premiers watts.

Car ITER est une installation expérimentale, dont la mission n'est pas de produire de l'électricité, mais de démontrer " la faisabilité de la fusion ". Son démarrage, naguère annoncé pour 2015, a été repoussé à l'automne 2019. Mais il faudra d'abord tester la machine et les premières réactions de fusion ne sont pas programmées avant 2026. Si tout va bien lui succédera, vers 2040, un réacteur de démonstration conçu, lui, pour générer de l'électricité. Ce n'est qu'autour de 2060 que pourrait voir le jour un prototype industriel, pour un éventuel déploiement de la filière à la fin du siècle.

Cet horizon lointain ne tempère pas l'ardeur des 460 permanents déjà présents sur le site. " C'est un projet enthousiasmant, fruit de plus de cinquante ans de recherche ", défend le Japonais Kaname Ikeda, directeur général d'ITER. " La France a tenu tous ses engagements, pour en faire un vrai succès ", ajoute Jérôme Pamela, directeur d'ITER-France.

Les écologistes sont moins emballés. " Nous ne sommes pas opposés à la recherche fondamentale. Mais ITER est déconnecté de l'urgence climatique et énergétique. Les collectivités territoriales ont d'autres priorités ", plaide Laurence Vichnievsky, tête de liste d'Europe Ecologie aux régionales en Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA). Ils ont donc " verdi " le projet, en passant un accord avec la majorité socialiste de Michel Vauzelle.

La région s'était engagée à investir 152 millions d'euros dans ITER : 70 millions dans la machine et le reste dans divers équipements. Lors de la précédente mandature, les Verts avaient obtenu, pour un programme baptisé Alter-ITER, que pour 1 euro affecté au réacteur, 1 euro le soit aux énergies durables et à la maîtrise de l'énergie, soit 70 millions d'euros. Pour la nouvelle mandature, les accords entre socialistes et écologistes prévoient, outre la poursuite de ce programme, une enveloppe de 60 millions d'euros destinée à l'isolation thermique des bâtiments. Et l'exécutif " n'accompagnera en aucune manière un éventuel surcoût de la machine ", prévoit l'accord.

La région PACA qui, malgré son ensoleillement, se classait en 2004 en vingtième position pour l'équipement photovoltaïque, s'est depuis hissée aux premiers rangs, avec un plan de pose de 100 000 m2 de panneaux solaires sur les toits des lycées. Une quarantaine de chaufferies à bois ont été créées. Une cinquantaine de centres culturels subventionnés pour l'amélioration de leurs performances environnementales. Une centaine de gîtes labellisés pour leur " éco-démarche ". Des programmes de maîtrise de l'énergie soutenus dans l'industrie, l'agriculture et le tourisme. Des formations lancées avec les entreprises artisanales et les centres d'apprentissage.

De plus, 30 000 chèques énergies renouvelables ont été distribués à des particuliers pour l'acquisition de chauffe-eau solaires et de chaudières à bois. Des centaines d'emplois créés sur des postes de maîtrise de l'énergie ou d'animation de réseaux. " En six ans, le budget énergie de la région a été multiplié par six ", se félicitent les écologistes.

Même sans ITER, " le développement des alternatives énergétiques était une volonté politique ", assure Christophe Castaner, vice-président (PS) du conseil régional. Mais, complète Annick Delhaye, vice-présidente (Verts), grâce à lui, " elles ont été boostées dans tous les secteurs ". Un premier succès - paradoxal - pour la fusion.

Pierre Le Hir

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