Le pacte commercial signé demain avec la Chine est vu comme une annexion rampante.
Taiwan tomberait-elle dans un piège tendu par la Chine ? Un accord de libre-échange historique entre la République de Chine (nom officiel de Taiwan) et la Chine populaire doit être signé demain à Chongqing, dans la province du Sichuan. Il risque de bouleverser à jamais les relations entre les deux Chines, séparées depuis soixante et un ans.
Ce pacte commercial est une «chausse-trape» Qui conduira à une «funeste réunification», avertissent les partisans du Parti démocrate progressiste (DPP), qui ont protesté par dizaines de milliers, samedi, dans les rues de Taipei, capitale de l'île nationaliste. «Protégeons Taiwan !» scandaient les manifestants en exigeant un référendum. Le président taïwanais, Ma Ying-jeou, a négocié cet accord en secret avec Pékin, en dehors du cadre parlementaire. Il prend en traître les 23 millions de Taïwanais, s'est insurgé le Taipei Times : «On sait bien qu'au fond, le Président veut une réunification. Ce pacte va nous lier économiquement, puis politiquement avec la Chine.» «Heureusement qu'on a encore un système démocratique pour protéger Taiwan», s'est écrié l'ex-président Lee Teng-hui, 87 ans, principal détracteur de l'Accord cadre de coopération économique (ECFA). Lee accuse carrément Ma et son parti, le Kuomintang (KMT), de «coopérer avec les communistes de Chine pour unifier Taiwan».«Ma Ying-jeou n'est pas qualifié pour être président», a tonné Lee, qui s'est joint à la manifestation organisée par le DPP.
«Front uni». Ma certifie que l'accord n'a «rien à voir avec la politique» et qu'il sortira Taiwan de son marasme économique. Les clauses de l'ECFA sont singulièrement favorables à l'île. Pékin s'engage à réduire ses droits de douane sur 539 produits; en échange, Taiwan diminuera ses taxes à l'import sur un volume de 250 produits d'une valeur presque cinq fois moindre. Les banques taïwanaises s'installant sur le continent bénéficieront des mêmes privilèges que celles de Hongkong... qui fait officiellement partie de la Chine.
Beaucoup de Taïwanais voient dans cet accord l'application de la fameuse tactique communiste du «Front uni», visant à placer l'adversaire dans un état de dépendance afin de mieux l'étouffer.
L'un des points délicats porte sur la capacité conditionnelle accordée à Taiwan par Pékin de pouvoir signer des accords de libre-échange avec d'autres pays. Pour se faire, Taipei aura besoin, au coup par coup, de l'aval de Pékin ! La Chine refusera sans doute que Taiwan utilise, dans ces accords bilatéraux, son nom officiel de «République de Chine». Depuis le rapprochement entre les deux Chine, suite à l'élection à la présidence taïwanaise de Ma Ying-jeou en 2008, ces disputes sémantiques ont été gelées. Taipei et Pékin s'accordent à dire qu'il n'y a «qu'une seule Chine» mais qu'elles divergent sur sa définition. Pékin a cessé de faire référence à sa «politique d'une seule Chine», ainsi qu'à son engagement à «reprendre Taiwan par la force si nécessaire». Ma Ying-jeou surveille lui aussi son langage. Il a affirmé, à propos des rapports avec Pékin, qu'il ne fallait pas parler de «relations internationales», ni de «relations entre deux pays», ni de «deux Chine». Il s'agit, selon lui, de «relations spéciales»...
Pékin table sur le fait que l'ancienne Formose finisse par succomber à la force de gravitation du marché chinois. La Chine est devenue le premier partenaire commercial de l'île (87 milliards de dollars d'échanges en 2009). Des centaines de milliers de Taïwanais vivent en Chine, où ils ont investi plus de 150 milliards de dollars. Les touristes chinois peuvent se rendre à Taiwan par des vols directs depuis 2008.
Échecs. La Chine populaire, qui garde 700 missiles pointés sur l'île, a néanmoins tiré les leçons de l'échec de ses tactiques martiales d'antan. Pékin avait tenté d'influencer les élections de 1996 à Taiwan, en tirant des missiles dans le détroit. Ces manoeuvres ont eu l'effet inverse, favorisant l'accession au pouvoir du DPP indépendantiste (2000-2008). Les Chinois espèrent cette fois que la manière douce favorisera la réélection de Ma Ying-jeou en 2012. Sur le long terme, cette stratégie consiste à rendre une réunification inexorable. Demain, l'ECFA doit être signé à Chongqing, capitale provisoire de la République de Chine qui fut dirigée par le KMT de Tchang Kaï-chek durant la guerre contre le Japon (1937-1945). Tout un symbole car, à l'époque, le Parti communiste et le KMT étaient alliés.
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