Qui sont ces militants de la cause des femmes ? Au moment où ressort le livre de Benoîte Groult sur le sujet, petit tour d'un mouvement qui commence timidement à se décliner au masculin.
Commençons par oublier les détails qui fâchent - ces agaçantes tâches ménagères qui retombent à 80 % sur le dos de la gent féminine ou ces congés parentaux, dont les mâles ne sont que 1 % à voir l'intérêt. En cette année de célébration des 40 ans du Mouvement de libération des femmes, alors que ces dames s'écharpent sur le retour des couches lavables et des mères au foyer - avec la philosophe Elisabeth Badinter dans le rôle de l'incendiaire - et qu'à droite comme à gauche on dénonce les timides avancées de la parité, il fallait bien se pencher sur l'autre versant de la question : les hommes. Combien sont-ils à penser que l'égalité des sexes n'est pas un vain mot ? Par le passé, on les comptait sur les doigts de la main, comme le rappelle Benoîte Groult dans l'essai érudit et joyeux qu'en éternelle soldate de la cause féminine elle a eu la bonne idée de republier ces jours-ci, Le féminisme au masculin (Grasset). Aujourd'hui, le militant féministe tient un peu moins de l'oiseau rare, à mesure que les générations se renouvellent.
Revenus sans états d'âme du dogme de la non-mixité prôné par le MLF, les mouvements féministes ont ouvert leurs gynécées de combat aux hommes. Ce qui ne va pas sans réveiller quelques vieilles bisbilles. "L'autre jour, cinq garçons étaient présents en réunion, mais ils ont parlé autant que les 30 filles réunies, raconte Caroline de Haas, l'une des fondatrices du collectif Osez le féminisme. Il va falloir qu'on fasse attention à ne pas reproduire les mécanismes de domination !" Chez Ni putes ni soumises, un tiers de bénévoles sont du genre masculin, acquis à la cause après avoir vu l'une de leurs proches faire les frais de la violence sexiste, ou par conviction politique. "Pour faire avancer le droit des femmes, on a besoin des hommes, assure Jean-François Laloué, l'un des responsables de l'association. Sinon, on s'enferme dans le communautarisme." Encore faut-il trouver des volontaires. Car "pour s'engager quand on est un homme, il faut vouloir changer le monde", lance Caroline de Haas. Ereintant. Et puis, "Pourquoi un homme, membre du groupe social dominant, prendrait-il le risque de perdre ses privilèges ?" glisse, amusé, Patric Jean, le réalisateur du documentaire La Domination masculine, sorti en novembre dernier. Loin des banderoles, des hommes bousculent aussi les codes au quotidien. Certains aménagent leurs horaires de travail pour rentrer plus tôt le soir. Le modèle du jeune papa avec porte-bébé se démocratise. Au pays du très macho Berlusconi, un dénommé Fiorenzo Bresciani a même eu l'outrecuidance de créer l'Association italienne des hommes au foyer, en 2002. Plus près de nous, Michel Morvan discute depuis deux ans recettes de cuisine et droits des femmes sur son blog au titre très années 1950 : L'Homme au foyer. Ce Breton de 37 ans, cadre culturel, a l'intention de jouer les "Desperate Housewives" avec ses deux enfants "pendant quatre ou cinq ans", pour que son épouse puisse mener sa carrière tambour battant. "Ma démarche est 100 % féministe, assure-t-il, les mains dans un plat de saumon aux épinards. C'est sûr, les plus âgés ne comprennent pas. Mais beaucoup de lecteurs me disent : c'est super, moi, je n'oserais pas le faire." Pour ce papa poule libéré, c'est bien la preuve que le changement est en marche.
Encadré - le contrat de mariage, selon john stuart mill (EXTRAIT - Le féminisme au masculin )
"C'est en 1851 que Stuart Mill [NDLR : économiste britannique] put enfin régulariser sa très longue liaison avec Harriet, à la suite de la mort de John Taylor. Mariage longuement attendu, précédé d'une union sentimentale et intellectuelle exceptionnelle, et que Mill voulut différencier de l'esclavage légal qu'il constituait habituellement pour les femmes en rédigeant cette renonciation à ses "droits de propriété" :
"Etant sur le point [...] de m'unir par le mariage [...] et désapprouvant [...] entièrement et profondément tout le caractère des relations conjugales telles qu'elles sont établies par la loi, pour cette raison entre autres qu'elle confère à l'une des parties le pouvoir et le contrôle légal sur la personne, les biens et la liberté d'action de l'autre partie... Et étant donné que je n'ai aucun moyen de me dégager de ces odieux pouvoirs, je considère de mon devoir de rédiger ici une protestation formelle contre l'actuelle loi du mariage... Je promets solennellement de ne m'en servir en aucun cas ni en aucune circonstance et je déclare que c'est ma volonté, mon intention et la condition de notre engagement qu'[Harriet] garde à tous égards la même liberté absolue d'agir et de disposer d'elle-même et de tout ce qui lui appartient, comme s'il n'y avait jamais eu mariage." Il faudra encore cent ans de revendications féministes pour que le rituel du mariage se modifie enfin dans le sens souhaité par Mill et ne fournisse plus au mari le droit légal de posséder une femme et des biens y afférents."
Les tâches ménagères, selon Fourier
Charles Fourier se livrait à "la dénonciation de l'asservissement des femmes en tant qu'injustice individuelle et erreur historique qui ruine les chances de bonheur de la société tout entière [...]. Ne voyant aucune justification, ni dans la nature ni dans l'Histoire, à la subordination des femmes, qui se traduit par leur affectation à des tâches imposées par les hommes, il prévoyait de remplacer 1 500 cuisinières individuelles par un Office central de cuisine, 1 500 mères-nourrices par une garderie et 1 500 couturières en chambre par un ouvroir. Ne seraient employés à ces tâches que celles et ceux qui se sentiraient un attrait naturel pour "la cuisine, l'éducation des marmots et le ravaudage". Loin de vouloir que les femmes soient toutes uniformes en penchants maternels, "toutes empressées à soigner les petits enfants", Fourier pensait au contraire que 1 femme sur 8 seulement en manifesterait le désir et 1 homme sur 11 !"
PHOTO - Man cooking in kitchen / Washington Post
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