lundi 14 juin 2010

Hong Kong aimante les galeries du monde entier - Judith Benhamou-Huet

Les Echos, no. 20696 - Les échos week-end, vendredi, 11 juin 2010, p. 19

A son tour, la Chine du marché de l'art se réveille. Hong Kong fait désormais figure de place forte. Le monde des galeries et des salles de ventes peut commencer à trembler.

Selon François Curiel, le nouveau patron de Christie's Asie depuis janvier, Hong Kong est devenu, en termes de volumes d'enchères, le troisième lieu de négoce, derrière New York et Londres, mais devant Paris. Les raisons ? L'ancienne colonie anglaise offre une accessibilité importante aux riches citoyens de la République populaire de Chine et, dans le même temps, tous les avantages d'un port franc, libre de toutes taxes. Pourtant, on ne peut pas dire que jusqu'ici Hong Kong, qui ressemble au premier abord à un « shopping mall » géant, ait prouvé un quelconque appétit pour la culture et encore moins pour les arts plastiques.

Katie de Tilly a ouvert 10 Chancery Lane, une galerie d'art contemporain, à Hong Kong en 2001. Elle observe : « Les acheteurs sont surtout des étrangers. Les Chinois eux-mêmes n'ont pas été élevés avec l'art contemporain. Ils ne savent pas ce que c'est, même si certains sont attirés par la spéculation qui a pu être opérée autour de certains noms célèbres. Ici les galeries contribuent à la compréhension de l'art car il n'y a pas de musée. » Conscientes de ces lacunes culturelles, les autorités locales ont décidé d'attribuer un prêt équivalent à 3 milliards de dollars américains destiné à financer un projet tentaculaire comprenant salles de spectacle et musée, le West Kowloon Cultural District. L'opération en est encore aux consultations d'architectes avec, en lice, entre autres, deux sommités, Norman Forster et Rem Koolhas. « Pour ce projet, le gouvernement utilise beaucoup de consultants et les choses vont encore lentement, note David Tang, businessman hongkongais de souche et collectionneur depuis les années 1980. A Hong Kong, c'est l'argent qui fait nos vies et il n'y a rien d'autre. Si, dans un dîner, vous parlez d'un Giacometti qui vient d'obtenir un prix record, on va vous dire : "Ah ! Giacometti ? Est-ce une province en Italie ?" Je voudrais que ma ville soit plus sophistiquée. »

Phase de maturation

C'est la raison pour laquelle celui qui est aussi propriétaire du très mondain China Club, où il expose sa collection d'art contemporain chinois sur trois étages, parrainait pour la troisième année la foire d'art contemporain de Hong Kong, qui s'est tenue du 27 au 30 mai. Le niveau général de l'opération était étonnamment bon pour une opération aussi « neuve ». Hong Kong International Art Fair, ce sont 150 participants et un « mix » de poids lourds internationaux -par exemple la galerie Gagosian (1), qui avait amené des grands classiques comme un portrait féminin de Renoir de 1875 à vendre pour 7 millions de dollars -et de galeries régionales qui donnent une visibilité nouvelle à l'art chinois mais aussi coréen, japonais, taïwanais, singapourien, qu'on ne voit nulle part ailleurs. « Hong Kong est un point de rassemblement pour la région, explique le directeur de la foire, Magnus Renfrew. Pour les Australiens, comme les Coréens ou les Taïwanais, la ville peut devenir un lieu d'échange international en matière d'art. Nous avons cependant prévenu les participants : exposer à la foire est un investissement de long terme, les Chinois sont peu nombreux à avoir fait le grand saut de l'art international. Cela dit, l'offre ne comporte pas seulement des peintures rouges, des pandas et des faces souriantes. Le marché est en phase de maturation. »

Cette année, le galeriste français Emmanuel Perrotin, participant pour la première fois à la manifestation, investit dans le public asiatique. Il fait traduire le site Internet de sa galerie en mandarin. « C'est aussi parce que j'espère être là encore dans vingt ans. » Le jour précédant le vernissage, il avait organisé un dîner avec le chef trois fois étoilé Alain Passard, auquel étaient conviées une cinquantaine de personnes. « Dès le premier soir, nous avons cédé une dizaine d'oeuvres de notre artiste japonaise Aya Takano. » Les peintures aux tons pastel dans un style manga psychédélique de la jeune artiste étaient présentées à des prix compris entre 35.000 et 124.000 dollars.

Porte ouverte sur la Chine

C'est sur le long terme que parie encore le Français Edouard Malingue, qui fait actuellement aménager par Rem Koolhas une galerie d'art moderne de 150 mètres carrés dans le quartier chic de Central. Elle devrait ouvrir en juin. « Hong Kong, c'est la porte ouverte sur la Chine sans droits de douane, sans TVA, sans restrictions politiques et avec une administration extrêmement efficace. Je parie sur les grands noms de l'art moderne comme Picasso ou Fernand Léger. Il n'y a pas de musée. La galerie pourrait devenir une mini-institution. Je me donne trois ans environ pour vendre. »

A la foire, les premières grosses transactions concernaient des artistes chinois contemporains. En vedette, une toile de grand format d'une des stars du marché, Zhang Xiaogang, vendue 1 million de dollars par la galerie américaine Pace, elle aussi installée à Pékin. L'artiste lui-même se promenait dans les allées. En 2008, une de ses peintures avait été adjugée 3,4 millions d'euros aux enchères chez Sotheby's -un record ! Lorsqu'on lui demande son sentiment sur le niveau des prix, il préfère s'abriter derrière son statut : « Je suis artiste. Je ne connais pas le marché. »

Pourtant, lui comme nombre d'autres grands noms de peintres qui ont atteint des sommets, entre autres du fait de manoeuvres spéculatives entre 2006 et 2008, continuent à peindre précisément dans le style qui a fait leur succès. Zhang Xiaogang réalise des portraits de personnages, souvent des scènes familiales, nostalgiques d'une esthétique maoïste, traversés par des imperfections symbolisant une réalité flétrie par le temps ou les faits. Le galeriste franco-chinois pionnier de cette avant-garde, Xin Dong Cheng, aujourd'hui installé à Pékin, estime cependant que la donne a changé. « Entre 2006 et 2008, les artistes avaient réellement le pouvoir. Ils vendaient sans contrôle et à des prix extrêmement élevés. Ils pensaient ne pas avoir besoin des galeries. Depuis lors, les cotes ne se sont pas écroulées mais elles ont sensiblement diminué. Les galeries ont repris le pouvoir. Il est probable que certaines d'entre elles ont tout simplement préconisé que les artistes continuent à peindre selon un style déjà connu. » A Hong Kong, plusieurs personnes parlaient de transactions importantes réalisées par des Chinois continentaux en cash. L'avantage de la ville est d'être une plaque de blanchiment de l'argent illégal de la Chine « mainland ». De cela aussi le marché de l'art pourrait profiter.

© 2010 Les Echos. Tous droits réservés.

Bookmark and Share

0 commentaires: