Pour Pascal Boniface, directeur de l'IRIS, « le monde devient multipolaire, le foot l'est depuis longtemps » Propos recueillis par Simon Roger et Isabelle Talès
La coupe du monde dans tous ses Etats ...
Directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques, Pascal Boniface a étendu ses analyses géopolitiques au football et s'attache à étudier les causes et les effets de la mondialisation du sport-roi.
- Le football occupe une position dominante sur l'échiquier du sport mondial. Cette hégémonie peut-elle être remise en cause ?
Pour rester un élément central de la société et le sport numéro un dans le monde, le football ne peut se contenter de reproduire l'existant, il doit aller de l'avant. Il y a des phénomènes dominants qui ont disparu parce que l'adhésion qu'ils suscitaient s'est transformée en méfiance. Un autre sport ou un autre spectacle aura peut-être remplacé le ballon rond au siècle prochain. Le foot n'est pas dans une bulle qui le mettrait à l'abri des dérives de la société.
Il y a vingt ans, l'image des dirigeants des fédérations sportives était celle de dictateurs au petit pied ! Aujourd'hui, notamment parce que la communication a changé, que des contre-pouvoirs se sont développés, on voit que Michel Platini [le patron de l'Union européenne du football, l'UEFA], Sepp Blatter [le président de la Fédération internationale, FIFA] ou Jean-Pierre Escalettes [qui dirige la Fédération française, FFF] ont conscience que pour continuer à être respecté, le football doit continuer d'être respectable. S'il n'est pas assez précautionneux sur sa forme de domination, il va, comme tout empire, périr.
- La FIFA est-elle un cercle de pouvoir politique ?
Clairement. Lorsque la FIFA prend une décision, elle est plus respectée que l'ONU, qui dans certains conflits, empile des résolutions foulées au pied par les protagonistes. C'est une instance internationale de régulation qui dispose d'une vraie autorité sur ses membres. La Fédération internationale de football a accompli deux miracles jusqu'à présent hors de portée des Nations unies : faire cohabiter dans la même organisation Israël et la Palestine, la Chine et Taïwan.
- Ce premier Mondial organisé sur le continent africain est-il un geste politique fort ?
C'est une décision doublement politique. Même si la Coupe du monde 2006 avait été, au dernier moment, attribuée à l'Allemagne, Sepp Blatter affirmait déjà qu'en dépit des problèmes d'infrastructures, de sécurité ou d'organisation, il fallait un Mondial à l'Afrique. Une fois le choix de l'Afrique entériné, désigner l'Afrique du Sud est un autre message politique. Il y a bien sûr un argument économique dans la mesure où c'est le pays le plus développé du continent, mais le Maroc [autre candidat à l'organisation du Mondial 2010] avait un meilleur dossier. C'est Nelson Mandela accompagné de deux autres Prix Nobel de la paix, Frederik De Klerk et Desmond Tutu, qui a fait pencher la balance. Ce choix est la récompense du parcours de Mandela et de l'Afrique du Sud.
- Tout comme était politique l'attribution de la Coupe 2002 au binôme Corée du Sud-Japon ?
Là encore, l'intention politique était claire : choisir l'Asie, nouvelle terre d'expansion du football; miser sur une coorganisation entre la nation la plus riche, le Japon, et celle qui affiche les meilleurs résultats sportifs, la Corée du Sud; forcer ces deux pays entre lesquels l'histoire a laissé des traces douloureuses à travailler ensemble. Le foot n'est pas une baguette magique, le Mondial n'a pas fait disparaître toutes les brûlures de l'Histoire, mais les chants coréens n'ont plus été interdits au Japon, de nombreux préjugés sont tombés. On peut penser que 2002 a été un facteur supplémentaire de rapprochement.
- L'expansion du football en Asie se confirme-t-elle aujourd'hui ?
Elle est phénoménale. Ce sont surtout les Anglais qui en bénéficient, la Premier League étant le championnat le plus riche, celui qui attire les plus grandes stars et du coup, qui se vend le mieux. En Thaïlande, en Malaisie, au Japon, les journaux anglophones publient les résultats de tous les championnats européens.
Au Japon et en Corée du Sud, le foot a déjà remplacé le base-ball. Après les arts martiaux traditionnels (taekwondo, karaté, judo), le base-ball apporté par les Américains après 1945, c'est maintenant le football qui domine, amené par les médias et non par un occupant, et qui s'est donc enraciné de façon plus profonde.
- L'une des singularités du football mondialisé est qu'il échappe à l'influence nord-américaine...
Le football est en avance sur la géopolitique. Le monde devient multipolaire, le foot l'est depuis longtemps. Les sports dominants aux Etats-Unis sont le basket et le base-ball. Le football y a été introduit un peu artificiellement par des championnats professionnels dans les années 1970, puis par le Mondial 1994, et se diffuse surtout par les adolescents, les femmes et les chicanos. Auparavant, émigrés allemands, irlandais, italiens avaient abandonné leurs traditions pour s'intégrer. Pas les chicanos, qui continuent à parler espagnol et à jouer au foot. Autre exception : on dit que la mondialisation efface les identités nationales, alors que le football les renforce. Le 11 juin, en France, tout le monde soutiendra les Bleus. Peu de phénomènes sont capables d'unifier une nation.
- Pays hôte du Mondial 2014, des Jeux olympiques 2016, le Brésil devient-il l'un des poids lourds de la géopolitique du sport ?
Pendant très longtemps, le pays n'a rayonné que par le football. Aujourd'hui, on ne peut même plus parler de puissance émergente. C'est une puissance émergée.
A l'inverse, des pays qui ont perdu de leur puissance conservent un statut grâce au foot. La question du leadership sud-américain est réglée depuis une dizaine d'années en défaveur de l'Argentine, mais le pays peut toujours espérer gagner la Copa America ou la Coupe du monde face au Brésil.
- La France a-t-elle joué un rôle dans le processus de mondialisation du football ?
Elle est à l'origine de la création de la FIFA, de la Coupe du monde de la Ligue des champions, du Ballon d'or [qui récompense chaque année le meilleur joueur mondial]. Cela illustre le travers, ou la qualité française, de la pulsion institutionnelle.
Notre pays cartésien aime bien organiser les choses. Jusqu'à présent, la France a plus organisé les compétitions qu'elle ne les a gagnées. Une seule Coupe du monde remportée dans une compétition organisée à domicile, à égalité avec le pays qui a inventé le football, l'Angleterre.
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