Issu de la première génération de prêtres ordonnés après la mort de Mao, le P. Zheng, 48 ans, n'ignore pas les progrès accomplis depuis l'ouverture de la Chine tout en restant lucide.
Hangzhou (capitale de la province chinoise du Zhejiang), de notre envoyé spécial
Les cheveux ébouriffés et les lunettes un peu de travers, le P. Paul Zheng s'avance à petits pas pressés pour serrer la main de son visiteur. Sourire un peu gêné de rigueur au premier abord, le responsable de la paroisse Notre-Dame-de-l'Immaculée-Conception s'avère petit à petit d'une chaleur communicative en dépit d'une prudence toute naturelle. « La ville de Hangzhou, capitale de la riche province du Zhejiang, a toujours été une cité accueillante envers les étrangers qui sont venus ici depuis des siècles », lâche-t-il en guise d'introduction générale, vous prenant le bras pour vous emmener dans une petite salle où se déroulent les cours de catéchisme, adjacente à l'église. Après vous avoir servi un verre d'eau brûlante dans lequel nagent quelques feuilles de thé vert, Paul Zheng, 48 ans, s'installe sur sa chaise, excité et fier de pouvoir vous raconter la vie de sa paroisse, de ses fidèles et aussi de l'église elle-même. Un monument historique à elle seule dont il est le gardien et l'animateur depuis près de dix ans.
« J'ai la chance de desservir l'une des plus anciennes églises catholiques de Chine, s'émerveille-t-il avec une certaine gravité, construite en 1659 par le jésuite italien Martino Martini. » Pensif, on a l'impression qu'il essaie de remonter le temps. « On respire ici la mémoire des premiers missionnaires catholiques italiens (jésuites) et français (Missions étrangères de Paris, MEP) venus évangéliser la Chine au XVIIe siècle... » Il lève les yeux et regarde la façade de l'église de style roman entièrement rénovée et repeinte l'année dernière. « Cette église, soupire-t-il, à l'image de toute la communauté catholique chinoise, a traversé les épreuves les plus difficiles de notre histoire, mais aussi de longues périodes de calme et de sérénité... un peu comme aujourd'hui. Tout n'est pas parfait mais on peut vivre notre foi de façon beaucoup plus apaisée que par le passé. » Et il en sait quelque chose, lui qui vient d'une famille catholique depuis quatre générations du côté de sa mère... arrivant pourtant difficilement à dissimuler des tensions souterraines et des compromis sans cesse à accepter face à un pouvoir politique omniprésent, quoique plus discret en apparence.
Le P. Zheng est entré au grand séminaire de Shanghaï en 1984, deux ans après sa réouverture, au lendemain de la période de glaciation maoïste. Il fait partie des pionniers chargés de faire renaître les paroisses délaissées et abandonnées pendant trente ans. Peu de livres, des professeurs d'une autre génération, ignorance des innovations de Vatican II, un contrôle politique serré, informateurs du parti au sein même du séminaire... le P. Zheng incarne cette première génération de prêtres de l'après-maoïsme aujourd'hui en charge de paroisses importantes qu'il faut faire vivre et développer. « J'ai été ordonné en 1991 et le besoin de professeurs m'a amené à enseigner sept ans aux jeunes séminaristes avant de prendre en charge cette paroisse d'où je suis originaire. C'est toujours ma première paroisse et j'aime le contact avec les fidèles, les jeunes qui suivent le catéchisme, accompagner les futurs mariés, les nouveaux adultes qui veulent se convertir... C'est riche d'expériences humaines... » Il gagne 800 yuans par mois (70 €), vit modestement dans une petite chambre au-dessus des salles de catéchisme et reçoit parfois quelques cadeaux de la part de ses paroissiens. Une vie très prenante mais « parfois épuisante » dans un contexte politique général pas toujours favorable.
Certes, les 5 000 catholiques de Hangzhou pratiquent librement. « Je célèbre une messe quotidienne à 6 heures du matin où viennent surtout des gens âgés, mais trois messes sont célébrées le dimanche, à six, huit et neuf heures, avec mon collègue le P. Fang, 48 ans comme moi, où se retrouvent toutes les catégories sociales possibles, riches, pauvres, classe moyenne, de tous les âges, avec beaucoup d'enfants. » Deux religieuses assurent le catéchisme et vont visiter les malades dans les hôpitaux. Chaque année, près de 70 catéchumènes suivent des cours et sont baptisés. « Sur le plan pastoral nous n'avons plus de problèmes avec le gouvernement, assure-t-il, la religion ne représente plus vraiment un danger politique pour le régime qui y voit plutôt un élément stabilisateur et favorisant l'harmonie dans la société. » Slogan phare du régime actuel, « l'harmonie » nécessite pourtant un certain nombre de concessions car, en dépit de la franchise du P. Louis Zheng, la présence localement de nombreux catholiques clandestins assombrit l'image sereine qu'il voudrait bien donner du diocèse. Du bout des lèvres il reconnaît qu'il « existe ici un certain nombre de catholiques souterrains, non affiliés à la paroisse, ils viennent de la ville de Wenzhou ». Une grande ville plus au sud et encore plus riche que Hangzhou, où les catholiques ont toujours eu un esprit rebelle à l'égard du Parti communiste.
On sent le sujet très sensible pour le P. Zheng puisque le discours politique officiel chinois consiste à affirmer que l'Église catholique de Chine s'unifie de plus en plus et que les catholiques clandestins sont aujourd'hui marginaux et minoritaires. Ce qui est totalement faux même si des statistiques claires restent impossibles à obtenir. « Les relations tendues entre le gouvernement et le Vatican nous posent un problème à la base dans les paroisses », reconnaît toutefois ce prêtre qui ne parlera jamais de la consécration illicite de son évêque en 2000 sous la pression du régime et de l'Association patriotique des catholiques chinois (APCC) qui voulait provoquer le Saint-Siège. Le P. Zheng soulignera simplement que le statut de son évêque a été régularisé aux yeux du Vatican il y a deux ans... « En ce qui me concerne, je n'ai pas de problèmes avec le gouvernement local et j'ai des liens avec des prêtres étrangers, assure-t-il, je suis même allé étudier deux ans à Rome à l'Université des salésiens en 2006. » Preuve que le gouvernement sait favoriser le développement intellectuel des « bons éléments » du clergé... en échange d'une obéissance aveugle aux ordres de l'APCC qui ne fait pourtant pas l'unanimité parmi tous les prêtres et évêques de Chine.
Conscient des limites de sa liberté d'expression, le P. Zheng justifie l'existence tant décriée de cette association, créée dans les années 1950 comme instrument politique entre le clergé et les structures politiques du Parti communiste : « L'APCC existe et nous devons coopérer, il n'y a pas d'autres choix, explique-t-il timidement, et lorsque nous avons besoin de quelque chose, nous faisons appel à elle. » Ainsi sans elle point de salut pour trouver un terrain à construire pour une nouvelle église, obtenir un passeport pour voyager à l'étranger, recevoir des financements pour une rénovation de bâtiments, avoir l'autorisation d'ouvrir une petite école privée ou un dispensaire ou une maison de retraite... Le P. Zheng en est parfaitement conscient mais ne peut pas s'exprimer : « Si Pékin et le Vatican renouent leurs relations diplomatiques, l'Église catholique chinoise ne cessera de croître. Je le souhaite, tout comme voir le pape venir en Chine. Il faut de la patience. »
Dorian Milovic
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