Dans le quartier parisien de Belleville, où des milliers de chinois ont manifesté il y a quelques jours pour protester contre les violences dont ils se disent la cible, les communautés se côtoient dans une relative harmonie.
« Quand vous arrivez à Belleville, vous m'appelez. Je vous trouve. » Weiming Shi ne fixe pas de lieu de rendez-vous : le jeune Chinois de 27 ans connaît le quartier par coeur. Il serre des mains au café comme à la galerie d'art et passe avec aisance du français au mandarin. Les gens l'appellent Martin. « C'est plus facile », confesse ce natif du Fujian, une province de l'est de la Chine. Comme beaucoup de Chinois, Weiming a commencé dans la restauration. « Mais ça demandait trop de compétences et il était très difficile de gagner de l'argent, même en travaillant cent dix heures par semaine comme je le faisais. » Celui qui a découvert la France par la Normandie est aujourd'hui en train de monter un autre projet. Secret...
Quartier partagé entre quatre arrondissements (les 10e, 11e, 19e et 20e), Belleville la cosmopolite, baignant dans des effluves chauds et fruités, détonne. Différentes communautés y vivent côte à côte dans une relative harmonie. Les Chinois, parmi les plus nombreux, sont arrivés dans les années 1970. À l'époque, Belleville est un lieu dont les pouvoirs publics se préoccupent peu. Les communautés déjà installées, principalement des juifs et des rapatriés d'Algérie, quittent le quartier dès qu'ils ont progressé dans l'échelle sociale. « C'est à ce moment-là que des Chinois du 13e arrondissement sont venus s'installer ici, explique l'intarissable Donatien Schramm, qui vit en donnant des cours de cuisine, de chinois et en faisant visiter son quartier. Le prix des logements, très abordable, a également été un facteur déterminant. » La fin des années 1970 marque aussi l'arrivée en France des « boat people » d'Asie du Sud-Est, une vague dont les Chinois profitent pour émigrer.
Ils sont loin de former une seule et unique communauté. Ceux venus de Wenzhou (une ville au sud de Shanghaï) sont largement majoritaires. La manifestation réclamant davantage de sécurité, dimanche dernier (lire encadré), a été organisée à leur initiative. Ensuite viennent les Chinois d'Indochine et du Sud, deuxième groupe le plus important. Eux se sont tenus à l'écart de la manifestation. La rue de Belleville reflète cette division : côté 19e arrondissement, les commerçants du sud de l'Asie ; en face, côté 20e, ceux originaires de Wenzhou. Dernier groupe, celui venu du Dongbei, nom donné au nord-est de la Chine. Des femmes souvent, devenues en France nourrices ou... prostituées. Tous ces immigrés comptent autant de traditions et de dialectes différents, impossibles à distinguer de l'extérieur. « Cette impression d'unité de la communauté chinoise a été entretenue par les Chinois eux-mêmes, regrette Donatien Schramm. Les Français ayant du mal à saisir les différences entre les peuples asiatiques, les Chinois en ont profité, par opportunisme. Le restaurant simultanément chinois, vietnamien et thaïlandais en est un exemple typique. Que dirait-on d'un établissement à la cuisine à la fois italienne, française et espagnole ? »
Un Chinois s'avance et tend une lettre à Donatien. « C'est mon cousin par alliance. Je lui traduis son courrier. Il vit en France depuis 1983, mais ne sait dire que bonjour et au revoir. » Peu de Chinois maîtrisent le français, alors ils se tiennent à distance des services publics ou font appel à leurs enfants, qui apprennent la langue à l'école.
Il est souvent reproché à cette communauté son isolement. Samir Tlili, président de l'association de commerçants Les boutiques enchantées et patron du bar Le Pataquès, constate qu'en effet, « les commerçants asiatiques travaillent plutôt entre eux. Mais progressivement, on parvient à créer une relation de confiance ». Comme pour le Nouvel an chinois, devenu depuis deux ans une fête de quartier. « C'était un événement communautaire où il y avait les acteurs et les spectateurs, les Asiatiques et les autres. L'objectif a été d'amener tout le monde à participer. Bien sûr, certains Chinois ont vécu ça comme une intrusion, mais d'autres ont été partants immédiatement. » Samir salue Lolo, serveur chinois au café Le Celtic. « Tous ses potes sont beurs ! » s'amuse ce Français d'origine tunisienne.
Lunettes noires et chapeau tressé, l'ex-Taïwanaise Cheng-Chi Mou rentre de son footing. Cette retraitée dit être venue à Belleville pour la proximité du centre-ville, « pas pour la communauté chinoise ». Elle retourne tous les ans à Taiwan et observe, amusée, le chemin parcouru d'une génération à l'autre. « J'ai beau dire à mon fils qu'il est Chinois, il me répond toujours : non maman, je suis Français. »
Encadré(s) :
La sécurité du quartier en question
Les incidents durent depuis plus de dix ans. « Je n'ai jamais été agressé, raconte Weiming Shi, mais une fois j'ai eu affaire à un faux policier. Un homme m'a suivi, montré sa carte et dit qu'il voulait voir mes papiers. Quand j'ai voulu revoir sa carte, il a refusé et s'est enfui. » Si une partie de la communauté chinoise s'est mobilisée contre les agressions et autres vols à l'arraché, c'est parce qu'elle estime être devenue une cible facile. La faute d'abord aux idées reçues : « Les Chinois ont la réputation d'avoir de grosses sommes d'argent liquide sur eux, explique Romain Guillonnet, président de l'association L'Hébergement différent, qui travaille avec toutes les communautés de Belleville. Les agresseurs savent que si la victime ne parle pas français ou est en situation irrégulière, elle ne portera pas plainte. » À ses côtés, Thieng Ngo, Cambodgien d'origine chinoise et restaurateur au Cok Ming, insiste : « Il ne faut pas se tromper : ce ne sont pas des violences entre communautés. Ici, il n'y a pas de ghetto. »
© 2010 la Croix. Tous droits réservés.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire