mardi 2 novembre 2010

LITTÉRATURE - Ivre de Chine par Constantin de Slizewicz


Perrin, 235 pages, 19,90 euros.

Vivre dans ce monde sans jamais réellement pénétrer la nature des gens, ni s'assimiler à un milieu aussi étrange, forme en moi un composé très bizarre et j'acquiers une mentalité qui me rend étranger partout. Entre la France et moi s'élève un brouillard de plus en plus épais à mesure de la marche du temps [_]. Je suis devenu l'être à part qu'est le voyageur lointain, noyé dans un milieu qui ne peut l'absorber et qui se trouve étranger à celui qui ne le contient plus. » Ainsi parle dans ses Mémoires, Auguste François, consul de France au Yunnan de 1898 à 1903_ Quand Constantin de Slizewicz cite et ressuscite ce diplomate photographe, c'est de lui-même que parle le jeune Français, expatrié volontaire en Chine. Lui qui, maîtrisant parfaitement la langue des mandarins, se fait toujours apostropher d'un « Tu parles bien chinois ! De quel pays es-tu ? ». A dire vrai, il ne sait plus trop : installé là-bas en 2000, après un stage d'école de commerce, il travaille depuis 2002 à Kunning, au coeur du Yunnan, comme responsable des grands reportages au sein du « City Herald », hebdomadaire local dépendant du Parti communiste_ Il est donc journaliste, toujours prêt à partir en découverte.

Mais Constantin de Slizewics n'a pas l'ambition d'un Bruce Chatwin ou d'un Nicolas Bouvier. Il n'est pas plus Sylvain Tesson ou Alexandre Kauffmann, figures de proue de la nouvelle génération des écrivains voyageurs. Et sa plume, parfois pataude, n'est engagée dans aucun combat politique. Alors, il faut prendre son récit pour ce qu'il est, une plongée prolongée (et en apnée) au coeur de l'empire du Milieu. Un grand reportage donc qui effleurerait la capitale -il dit joliment que Beijing a tué Pékin -pour traverser d'est en ouest tout le pays.

Galerie de portraits

En 2002, Constantin de Slizewicz effectue cette « Anabase » moderne de manière spontanée et gratuite, avec un camarade d'aventure, Alexandre, et un side-car, nommé le « Scarabée ». Ce n'est qu'une des aventures de ce livre, qui trimbale le lecteur des marches de l'empire au Yunnan. Pas ou peu de description pittoresque au rendez-vous_ C'est par les hommes et les femmes aux vies rugueuses qu'on aborde la réalité du pays. De cette galerie de portraits de bord de route, la figure de Zhao, le « boss » du « City Herald », est sans doute l'une des plus attachantes : « Avec ses cheveux en brosse et gominés, son polo gros brillant, son petit ventre et ses chaussures de marque, [il] ne ressemble pas à un ascète doctrinaire du maoïsme ». Vraiment pas. Il faut suivre ces gaillards dans leurs marathons nocturnes à Kunning. On y est loin du politiquement correct pékinois et du « bling bling » shanghaïen : tard dans la nuit, on joue, on file au glauque Show Bar voir des danseuses à la libido triste_ Et, bien sûr, on fume -le don de cigarette est un rite de sociabilité -et on boit_ A Kunning, comme ailleurs, les nuits de Chine riment avec alcool, « passage obligé pour prouver son excellence ».

C'est une leçon à retenir : faire des affaires en Chine profonde nécessite un foie d'acier. La diplomatie du « gambei », c'est-à-dire du toast, y a toujours cours et l'on mange beaucoup et de tout : du chien, en soupe ou en barbecue, mais aussi du « xi fan », porridge de riz gluant mélangé à des os de poulet broyés parfois agrémentés de larves d'abeille_ une spécialité des Wa. Les Wa ? L'une des cinquante-six « minorités nationales » reconnues par le pouvoir central.

Une Chine bien réveillée

Ces minorités, Constantin de Slizewics ne cesse de les croiser, et découvre « une réalité différente des images prosaïques et des prospectus de propagande édités par le gouvernement chinois ». Ainsi, ces fameux Wa, qu'il rencontre le long de la frontière sino-birmane. Trois cent soixante mille âmes et une réputation maintenue jusque dans les années 1950 de coupeurs et de réducteurs de têtes. Cette passion d'étêter les a quittés tout comme le pittoresque de leurs villages a disparu. Trois ou quatre sont maintenus, pour les touristes Han, mais partout ailleurs ils sont devenus des « bidonvilles où règne cette odeur rance et faisandée de la pauvreté ». « Des murs en agglo ont remplacé les vieilles palissades de bambou, des plaques en fibrociment ont supplanté les archaïques toitures de chaume. »

Ces passages sont les rares moments critiques du livre. Ne pas le regretter. Jamais, on n'aura connu d'aussi près les bruits, les odeurs, les froids, les moiteurs, les contradictions, les nuits d'ivresse, les souffrances et les joies d'une Chine bien réveillée mais qui demeure toujours, hors de ses métropoles, une inconnue pour l'Occident.

GILLES DENIS



Ivre de Chine : Voyages au coeur de l'Empire

En digne héritier de Nicolas Bouvier, Constantin de Slizewicz explore une Chine bien éloignée des stéréotypes. Il nous livre la vision d'un pays dont les hommes constituent la vraie richesse, des peuples dont il nous fait partager la réalité quotidienne.

Entre deux reportages pour Le Quotidien du Yunnan, Constantin de Slizewicz décide à l'hiver 2002 de traverser la Chine d'est en ouest, à bord d'un side-car baptisé le Scarabée, piloté par son ami Alexandre. A l'occasion de ce périple durant lequel les deux Français avalent autant de spiritueux que de kilomètres, l'auteur évoque ses dix années vécues en Chine. Une Chine bien éloignée de celle des JO, où l'on ne court pas après un taux de croissance, où les policiers, les patrons de presse, tout comme la jeunesse, la classe moyenne et les paysans trouvent le tao au fond d'une bouteille d'alcool blanc.

Ivre de Chine, Constantin de Slizewicz émaille ce récit truculent du souvenir de figures historiques comme le consul de France Auguste François ou l'écrivain Lucien Bodard, nous fait découvrir des canonnières sur le Yang-Tsé-Kiang et revivre la guerre des Boxers, retrace l'aventure du chemin de fer du Tonkin, des Tigres volants et l'épopée de missionnaires et d'explorateurs qui, comme lui, ont vécu d'amères et inoubliables aventures en Chine.

Depuis l'âge de vingt ans Constantin de Slizewicz vit en Chine, où il réalise des photoreportages pour les presses française et chinoise ainsi que des films documentaires. Il est l'auteur des Peuples oubliés du Tibet (Toison d'or du livre d'Aventure & d'Exploration 2007) et des Canonnières du Yang-Tsé-Kiang.

Ivre de Chine : Voyages au coeur de l'Empire

Site : Éditions Perrin

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