mardi 22 juin 2010

OPINION - Corée du Nord : que faire du pays du " cher leader " ? - Elie Barnavi

Marianne, no. 687 - Carte blanche, samedi, 19 juin 2010, p. 36

Faut-il se résigner au fait qu'il existe en relations internationales des problèmes irrémédiablement insolubles, ou du moins tels que toute " solution " semble pire que son absence ? C'est l'un des aspects les plus troublants de l'anarchie où l'écroulement de l'ordre bipolaire né de la Seconde Guerre mondiale a plongé le monde. Non, ce n'est pas au Proche-Orient que je fais allusion ni à la crise du nucléaire iranien, autant de manifestations de l'anomie internationale. Mais à la Corée du Nord, exemple extrême de l'impuissance de la " communauté internationale ".

Cet étrange pays présente, certes, des difficultés particulières, qui ne relèvent pas de la seule logique des relations internationales. Le dernier régime stalinien de la planète est dirigé par un monarque absolu, deuxième d'une dynastie qui entend se perpétuer. Ce monarque absolu, qui semble à peine tenir sur ses jambes, a souffert l'an dernier d'une attaque cérébrale dont il s'est mal remis, et on le dit aussi atteint d'un cancer incurable. De ses trois fils qui pourraient prétendre à sa succession, apparemment la grande affaire du régime, l'aîné est un imbécile et un homosexuel - tare rédhibitoire au pays du " cher leader " - ; le puîné, une canaille qui s'est fait remarquer dans un casino de Macao avec des liasses de faux dollars, et refouler par le Japon alors qu'il tentait d'y entrer avec un faux passeport dominicain pour visiter le Disney World local. Il reste le benjamin, Kim Jong-un, dont les états de service se résument jusqu'ici à son organisation magistrale des feux d'artifice, choeurs et festivités diverses qui ont marqué en avril dernier la Journée du Soleil, autrement dit l'anniversaire de son père.

Ces extravagances prêteraient à sourire si la Corée du Nord, qui ne parvient pas à nourrir sa population, n'était pas dotée d'une puissance nucléaire et conventionnelle redoutable dont elle n'a pas hésité à se servir, en réglant la pression internationale au gré des intérêts opaques du potentat et de sa clique. Le problème ? Nul ne sait comment faire face à ses provocations.

La guerre ? Mais, lorsqu'une torpille nord-coréenne a tué 46 marins sud-coréens, casus belli caractérisé, la Corée du Sud n'a pu que se livrer à des gesticulations sans conséquence. On la comprend : Séoul et ses plus de 10 millions d'habitants vivent sous la menace de l'artillerie nord-coréenne, sans même mentionner le potentiel nucléaire de son voisin.

La diplomatie ? Mais que peuvent l'ONU, les Etats-Unis et les puissances régionales qui négocient depuis des années avec Pyongyang contre un régime dont la capacité de nuisance lui permet de se livrer avec impunité à cette perpétuelle stratégie de la corde raide dans laquelle elle est passée maître ? Un incident survenu début juin à la frontière sino-coréenne a montré jusqu'à l'absurde à quel point le régime a perdu tout contact avec la réalité des rapports de force : en abattant trois ressortissants chinois, Pyongyang a mordu la main qui le nourrit, au risque de s'aliéner l'unique allié qui lui reste.

Alors, exiger des Chinois qu'ils laissent tomber un régime dont ils ont perdu depuis longtemps le mode d'emploi, et signent ainsi son arrêt de mort ? Pas si facile. Il n'est pas sûr que son effondrement fasse l'affaire des principaux intéressés : la Chine, parce qu'il provoquerait l'afflux de millions de réfugiés affamés ; les Etats-Unis, parce que, avec leurs quelque 30 000 hommes sur le terrain, ils risqueraient de se trouver entraînés dans un troisième conflit militaire ; la Corée du Sud, enfin, parce qu'elle serait forcée d'avaler une sorte d'Albanie à la puissance 10, au regard de laquelle la défunte Allemagne de l'Est ferait figure d'eldorado ; et le monde entier, parce que, comme chacun sait, une bête blessée est imprévisible, infiniment dangereuse.

Alors, que faire de la Corée du Nord ? Bonne question...

PHOTO - A Japanese tourist walks past pictures of North Korean leader Kim Jong-il displayed at a pavilion in Paju, about 45 km (28 miles) north of Seoul, February 16, 2009. With figure skaters, strange weather patterns, a fresh missile threat and ageing cadres praising a "peerlessly great man", North Korea celebrated leader Kim Jong-il's 67th birthday on Monday. While the North basked in festivities for Kim, who suffered a suspected stroke in August but appears to have recovered, the region was on edge over a possible missile launch.

© 2010 Marianne. Tous droits réservés.

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