Dans la " zone démilitarisée ", le poste avancé n0 178 enregistre la montée des tensions entre les deux Corées
A deux cents mètres au nord, en contrebas du vallon boisé, passe la ligne de démarcation, formée de piquets espacés d'une cinquantaine de mètres, qui sépare les deux Corées. Le poste de garde n0 178 est l'un des plus avancés du côté sud à l'intérieur de la zone démilitarisée (DMZ : demilitarized zone) instituée lors de l'armistice de 1953 comme espace tampon entre les deux pays. De 4 kilomètres de large, elle court sur 280 km de long d'est en ouest. " Démilitarisée ", elle ne l'est que de nom : de part et d'autre de la ligne de démarcation qui passe à équidistance en son milieu, les deux Corées ont installé des postes de garde armés. La DMZ est en outre un champ de mines. A celles datant de la guerre s'ajoutent les nouvelles : pas plus que les Etats-Unis, la Corée du Sud n'a signé l'accord interdisant les mines antipersonnel.
La montée de la tension entre les deux Corées à la suite du naufrage d'une unité de la marine sud-coréenne imputé à Pyongyang par une commission d'enquête internationale a renforcé le climat de confrontation qui règne le long de la frontière la plus militarisée du monde. Le Conseil de sécurité des Nations unies, saisi par Séoul, doit examiner à partir du 14 juin l'affaire du naufrage. La Chine et la Russie se refusent pour l'instant à condamner la Corée du Nord, qui pour sa part rejette les accusations du Sud. Bien que Séoul et Washington aient ajourné des manoeuvres navales, " la tension reste forte ", dit le général Park Sam-deuk, commandant de la 5e division déployée le long de la DMZ.
Sur son piton, face au Nord, le poste n0 178 est enfoncé dans la DMZ à un peu plus d'un kilomètre du double grillage électrifié surmonté de barbelés qui la délimite du côté Sud. Il domine une région vallonnée, surplombant un grand axe de communication entre le Nord et le Sud (la " trouée " de Cheorwon) où se déroula en octobre 1952 l'une des plus meurtrières batailles de la guerre de Corée (1950-1953) : celle d'Arrow-Head, à laquelle participa le bataillon français combattant sous le drapeau de l'ONU.
" Trois mois sans relève "
Le dernier des seize monuments d'un " Chemin de mémoire " dont la France a eu l'initiative a été inauguré en présence de vétérans français, fin mai, sur ce piton. Celui-ci fut l'un des points de la ligne de front à partir de laquelle a été fixée la démarcation entre les deux Corées lors de l'armistice du 27 juillet 1953.
Il est exceptionnel d'entrer aussi profondément dans la DMZ et les règles sont strictes : treillis, gilet pare-balles et casque. Les jeeps précédées par une escorte armée franchissent le double grillage ponctué de miradors de la DMZ par une porte gardée. La route étroite en plaques de béton serpente dans un sous-bois verdoyant avant de grimper vers le piton. Au sommet, le poste de garde fortifié est un bunker peint en couleurs de camouflage percé de meurtrières. Il est entouré de grillage et de barbelés. Il n'y a pas de pièces d'artillerie visible.
Chaque poste de garde dans la DMZ a en permanence une trentaine d'hommes. Ils y restent pendant trois mois d'affilée. Le soir est activé un circuit de mines autour du poste qui isole celui-ci jusqu'au lendemain. Les soldats ne sortent pas de leur fortin sinon pour des patrouilles quotidiennes le long de la ligne de démarcation. " Trois mois sans relève, c'est dur. En hiver la neige recouvre les pieux de la ligne de démarcation et on ne sait pas exactement où on est ", dit un jeune appelé qui effectue un service militaire de deux ans. Soumis à une forte pression psychologique et au froid d'hivers sibériens, certains supportent mal cet " enfermement ". Il y a des cas de dépression, de suicide.
Au sud de la DMZ, s'ouvre une zone de 10 kilomètres de large dite de " contrôle des civils " dont l'accès est réglementé : seuls y vivent des agriculteurs qui cultivent des rizières. Camps militaires et pièces d'artillerie camouflées ponctuent un paysage champêtre à l'activité ralentie et à la circulation rare, sans la moindre publicité. Curieuse cohabitation d'une tranquillité bucolique et d'une guerre suspendue à un armistice sans jamais qu'un traité de paix y ait mis fin.
Philippe Pons
© 2010 SA Le Monde. Tous droits réservés.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire