Voici maintenant un petit demi-siècle, le demi-dieu fondateur de la Corée du Nord, Kim Il-sung, avait voulu étendre le champ des connaissances de son fils préféré et successeur désigné, Kim Jong-il. C'est ainsi que l'actuel dirigeant de la Corée du Nord fit des études, semble-t-il peu brillantes, à Berlin-Est. Il s'agissait alors de se familiariser avec le seul exemple d'un État communiste séparé en Europe et d'y observer les stratégies mises en oeuvre par le SED pour contrarier l'influence déjà puissante d'une Allemagne de l'Ouest en plein essor économique. Le problème se posait évidemment de la même manière avec le développement déjà rapide de la Corée du Sud. Mais ici les parallèles s'interrompent. La Corée du Nord a touché l'abîme économique bien plus rapidement que ne l'a jamais fait la défunte Allemagne de l'Est. La Corée du Sud est bien devenue un petit géant industriel qui rappelle l'hégémonie économique conquise par l'Allemagne de Helmut Kohl. Et il n'est pas jusqu'à la Sunshine Policy (la politique du rayon de soleil) mise en oeuvre non sans quelque naïveté excessive par la gauche sud-coréenne au pouvoir après l'an 2000 qui ne supporte un parallèle avec le véritable syndrome de Stockholm ressenti par la social-démocratie d'Oskar Lafontaine dans les dix années qui préparent la chute du Mur.
Où se situe donc la divergence majeure? La plus importante, c'est que la Chine ne sera jamais pour la Corée du Nord ce que l'Union soviétique a pu représenter pour la RDA. On peut d'ailleurs discerner les différences tout à la fois en bien et en mal. La Chine, en effet, bien qu'elle ait sacrifié de ses soldats pour sauver la Corée du Nord du général MacArthur, n'a depuis 1955 aucune force d'occupation sur le territoire nord-coréen, dont les dirigeants successifs n'en font qu'à leur tête. La Chine, aussi, si elle consent à fournir une aide économique nécessaire à son ancien vassal, développe néanmoins des relations, pas seulement économiques, beaucoup plus intenses avec la Corée du Sud, qui participe déjà au développement de son industrie aéronautique et coordonne sa politique monétaire avec celle de Pékin. Mais la différence la plus grande, c'est que la Chine néocapitaliste, prospère et puissante, ne présente aucune vulnérabilité aux pressions de Séoul, quand un Gorbatchev réduit aux abois, en venait à mendier une aide économique indispensable, mais payante, à Helmut Kohl. En mal, il faudra noter l'extrême pusillanimité des élites militaires et de renseignement de la République populaire de Chine qui n'use de son influence à Pyongyang qu'avec beaucoup de parcimonie. À l'opposé, les héritiers moscovites de Youri Andropov n'hésitèrent pas, sur le modèle de la stratégie révolutionnaire adoptée dès 1952-1953 par Beria, à déstabiliser consciemment le régime Honecker pour présider à une réunification progressive de l'Allemagne de l'Est. Les mêmes kagébistes libéraux qui poussaient Markus Wolf et son filleul Gregor Gysi sur le devant de la scène est-allemande, n'hésiteront pas non plus à dépêcher des milliers d'agents et de forces spéciales à Bucarest pour y appuyer la chute de Ceaucescu, deux mois après la chute du mur de Berlin.
Pourtant, une telle audace, il est vrai désespérée, serait la solution optimale du conflit coréen. En renversant la dynastie familiale des Kim au profit, par exemple, de militaires et de technocrates nord-coréens plus pragmatiques en économie et plus raisonnables en politique, Pékin garderait le contrôle ultime de sa marche de Pyongyang tout en satisfaisant l'essentiel des inquiétudes de son partenaire sud-coréen. Ce réajustement concerté avec les États-Unis et le Japon, permettrait même, dans un premier temps, le retrait du dernier contingent américain de Corée du Sud, et à terme, l'évacuation à laquelle aspire l'opinion japonaise de la plupart des bases américaines d'Okinawa.
Il faut espérer néanmoins que l'actuelle crise d'hystérie sanguinaire des Nord-Coréens pourra être surmontée in extremis grâce à la diplomatie de Pékin, qui fait alterner solidarité avec son vassal et sévérité quant à ses comportements. Mais la vérité toute nue, c'est que seule la Chine peut favoriser un coup d'État interne qui soulagerait définitivement l'Asie toute entière. Et la différence essentielle, c'est qu'une Chine prospère et puissante ne s'effondrerait pas sous l'effort comme dut le faire la malheureuse Union soviétique de Gorbatchev, qui paya chèrement la chute de l'Allemagne de l'Est. Il faudrait donc encourager Pékin à agir sans faiblesse, mais en payant le prix fort de son hégémonie régionale renforcée, notamment par rapport à un Japon postindustriel qui se cherche encore. Et ici, c'est aux États-Unis de dire plus clairement ce qu'ils veulent vraiment réaliser au pays du Matin-Calme.
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