Les deux grandes marées noires qui se sont produites récemment n'ont pas eu les mêmes suites. La Chine vient de déclarer la fin du nettoyage nécessité par l'explosion d'un oléoduc qui avait déversé 1 500 tonnes de pétrole au large des côtes du nord-ouest du pays. Le même jour, le pétrolier britannique BP annonçait le départ de son directeur général Tony Hayward, conséquence de l'accident du golfe du Mexique. Chez BP, le désastre a provoqué un traumatisme dévastateur pour l'entreprise, alors qu'en Chine, il n'a fait tomber aucune tête.
La quantité de pétrole répandue a certes été 200 fois plus importante dans le golfe du Mexique. Mais il existe une autre raison expliquant pourquoi l'on trouve les tragédies environnementales toujours moins dramatiques en Chine : le pays n'a pas encore vécu son " Minamata ".
Au début des années 1970, la baie de Minamata au Japon est devenue le symbole du tribut environnemental démesuré que peut exiger une industrialisation accélérée. Du mercure jeté à la mer avait alors tué 3 000 habitants. Durant des décennies, l'opinion publique ne s'était pas émue des pratiques de décharge sauvage. Jusqu'à cet incident : la lutte contre la pollution est dès lors passée au statut de priorité nationale.
Le rythme de croissance de la Chine lui fait courir le risque d'être victime de catastrophes bien plus graves que celle de Minamata. En 2007, la Banque mondiale estimait que, chaque année, la pollution provoquait 460 000 décès dans le pays. Les médias ont souvent évoqué les " villages du cancer " qui sont apparus le long des voies d'eau souillées.
Bien sûr, des expéditions d'assainissement sont organisées, et l'Agence chinoise pour l'environnement tire régulièrement la sonnette d'alarme. Elle signalait dernièrement qu'en Chine, près du quart de l'eau présente en surface était tellement sale qu'il en est devenu impropre à l'usage industriel, et donc, a fortiori, à la consommation humaine. Mais la plupart du temps, les autorités se complaisent dans le déni et l'inaction. On a beau traiter les urgences et implanter par endroits des technologies " propres ", l'environnement ne fait pas partie des priorités.
Le raisonnement consiste peut-être à considérer que l'on peut attendre que le pays soit plus riche pour réparer les dégâts, mais pour peu qu'une tragédie industrielle assez choquante mette en évidence l'incurie des pouvoirs publics et suscite la colère de la population, l'Empire du Milieu connaîtra son Minamata bien avant cela.
John Foley
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