jeudi 15 juillet 2010

Le projet de l'avion chinois moyen-courrier avance à un rythme soutenu

Le Monde - Economie, vendredi, 16 juillet 2010, p. 14

Quand la Chine avait annoncé, en 2007, le lancement d'un avion de 160 à 190 places venant concurrencer Airbus et Boeing sur l'un de leur segment le plus rentable, cette déclaration avait été accueillie avec politesse. Trois ans plus tard, le doute est levé : la volonté politique des autorités est bien là et si l'élan se poursuit, le C919 sera dans quatre ans le premier avion à remettre en cause le duopole formé par l'A320 et le 737, les deux appareils les plus vendus au monde.

Le programme avance au rythme annoncé. Objectif : un premier vol en 2014 et le début des livraisons deux ans plus tard. L'avion étant dessiné, l'heure est désormais à la sélection des équipements auprès des groupes étrangers, le fuselage et la voilure étant réalisés en Chine. La Commercial Aircraft Corporation of China (Comac), entreprise d'Etat créée pour réaliser le C919, a annoncé, mardi 13 juillet, le choix de l'américain General Electric pour la fourniture des systèmes électroniques.

Un accord a également été signé avec Eaton, un autre américain, pour les systèmes hydrauliques et d'alimentation en carburant. Ces choix s'ajoutent à celui du motoriste, en décembre 2009 : CFM, la société commune entre Safran et General Electric qui fournit déjà les réacteurs des A 320 et des 737.

" Les Chinois ont une approche pragmatique. Ils veulent fabriquer un avion raisonnable et ambitieux, indique Marc Ventre, directeur général adjoint de Safran. Ils cherchent ce qu'il y a de mieux en termes de technologie, mais ne sont pas prêts à prendre des risques en adoptant des matériaux nouveaux ou des technologies n'ayant pas fait leurs preuves en service. " Jean-Luc Doublet, responsable de ce programme pour Safran, ajoute qu'" ils y consacrent d'importants moyens ".

Il souligne que " 5 300 personnes travaillent déjà chez Comac " et que " l'usine d'assemblage est en cours de construction à Pudong, près de l'aéroport de Shanghaï ". Un premier hall devrait être achevé fin 2011. A terme, 15 000 personnes qui seront employées par la Comac. L'entreprise espère engranger dès 2010 une centaine de commandes émanant des compagnies chinoises. Car cet avion est, au départ, destiné aux vols intérieurs. Un marché considérable de 2 000 appareils sur vingt ans représentant près de 10 % du marché mondial des moyens courriers.

Signe de cette accélération, les Chinois abordent ce créneau alors qu'ils n'ont pas encore maîtrisé la production de leur avion régional de 90 places, l'ARJ 21. Seuls trois appareils sont sortis des chaînes depuis le premier vol en 2008.

" La stratégie chinoise pour attaquer le duopole Airbus-Boeing diffère totalement de celle des autres constructeurs, analyse Didier Gobin, chef de projet dans le cabinet de conseil en stratégie Roland Berger. Ils font un véritable saut en termes de technologie et de complexité alors que les constructeurs brésilien (Embraer) ou canadien (Bombardier) ont commencé par maîtriser les avions de plus petite taille avant d'aborder progressivement ce marché. Sans doute sont-ils portés par leur succès dans le spatial, qui leur a permis d'envoyer un homme dans l'espace, rattrapant ainsi leur retard sur les Russes et les Américains. "

Face à cette effervescence, Airbus et Boeing doivent réagir plus vite que prévu et améliorer les performances de leurs avions pour garder l'avantage, même s'ils savent qu'ils domineront encore le secteur des moyens-courriers pendant plusieurs années. Selon eux, il faudra du temps aux nouveaux entrants pour avoir la maîtrise de ces technologies et, surtout, gagner la confiance des compagnies aériennes.

Mais les deux avionneurs sont aussi soumis à la pression de leurs clients demandeurs d'appareils moins gourmands et moins bruyants. Chacun travaille à une remotorisation de sa gamme d'A320 et de 737. Des décisions seront annoncées d'ici à la fin de l'année pour ces nouvelles versions qui seraient alors disponibles à l'horizon 2015. De ce fait, le lancement du successeur de l'A320 et du 737 a été décalé de 2020 vers 2025. Ces futurs avions devraient bénéficier de ruptures technologiques encore à l'étude, les rendant plus performants et leur permettant de réduire fortement les coûts d'exploitation. Il s'agit là encore de creuser l'écart avec les nouveaux entrants sur le marché.

Dominique Gallois

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