lundi 19 juillet 2010

OPINION - L'arrogance de la puissance chinoise - Brahma Chellaney

Le Figaro, no. 20516 - Le Figaro, lundi, 19 juillet 2010, p. 21

L'auteur, professeur d'études stratégiques au Center for Policy Research à New Delhi, analyse le renversement du rapport de force entre l'Amérique et l'ancien empire du Milieu. La réussite engendre la confiance, et la réussite rapide l'arrogance. Voici en résumé le problème auquel sont confrontés l'Asie et l'Occident face à la Chine, comme nous venons d'en voir une nouvelle démonstration aux sommets du G8 et du G20.

Sa montée en puissance économique et militaire encourage le gouvernement chinois à poursuivre une politique étrangère plus musclée. Après avoir prêché la bonne parole de « l'éveil pacifique », la Chine finit par enlever les gants, convaincue que sa poigne est suffisamment renforcée.

Cette approche s'est clairement exprimée depuis la crise financière de l'automne 2008. La Chine a interprété celle-ci comme le symbole du déclin du capitalisme anglo-américain et l'affaiblissement du pouvoir économique des États-Unis. De quoi renforcer sa conviction sur deux points : son type de capitalisme d'État est une alternative crédible et son ascendant inévitable.

Selon les analystes chinois, les États-Unis et la Grande-Bretagne, après avoir joué depuis si longtemps la petite musique du « libéralisez, privatisez et laissez les marchés décider », ont pris l'initiative de renflouer leurs géants financiers dès les premiers signes de difficultés. Le capitalisme d'État a en revanche procuré à la Chine la stabilité économique et la croissance rapide qui lui ont permis de surmonter la crise globale.

En effet, malgré les annonces répétées de surchauffe de l'économie, les exportations et les ventes au détail de la Chine explosent et ses réserves de change atteignent 2,5 mille milliards de dollars, alors même que les déficits budgétaire et commercial de l'Amérique sont alarmants. Cela a conforté les élites chinoises dans cette combinaison d'un régime autocratique et d'un capitalisme d'État.

Le plus grand perdant de la crise financière est, aux yeux de la Chine, l'Oncle Sam. Le fait que les États-Unis demeurent dépendants d'elle pour se procurer des milliards de dollars en bons du Trésor pour financer leurs déficits budgétaires abyssaux est le signe évident d'un glissement du pouvoir économique mondial - que la Chine utilisera certainement à des fins politiques à l'avenir.

L'attention est actuellement focalisée sur les soucis financiers de l'Europe, pour la Chine c'est que le déficit et l'endettement chroniques de l'Amérique incarnent son déclin relatif. Sans parler des deux guerres que mène l'Amérique outre-Atlantique, dont l'une semble de moins en moins gagnable.

La détermination croissante de la Chine ne devrait pas en surprendre beaucoup. Le conseil de Deng Xiaoping - « dissimulez vos capacités et attendez le bon moment » - n'est plus vraiment de circonstance. La Chine n'a plus peur aujourd'hui d'afficher ses capacités militaires et de s'affirmer sur de multiples fronts.

Cela crée de nouvelles tensions dans ses relations avec l'Occident, clairement palpables lors du sommet de Copenhague sur le climat. Le plus grand pollueur de la planète a finement contourné les pressions en se plaçant dans le camp des pays développés. Depuis, la Chine a exacerbé ces tensions en continuant de manipuler la valeur du renminbi, en maintenant un surplus commercial anormalement élevé et en restreignant l'entrée sur le marché national des biens manufacturés par des entreprises étrangères sur son sol.

En maintenant une monnaie sous-évaluée et en inondant les marchés planétaires avec des biens artificiellement bon marché, la Chine poursuit une politique commerciale prédatrice. Ce qui concurrence davantage les industries des pays en développement que des pays industrialisés. Mais les menaces que l'empire du Milieu fait peser sur l'économie mondiale défient également les intérêts occidentaux. De plus, ses efforts pour bloquer l'accès aux ressources essentielles incitent à penser qu'il va continuer à soutenir les régimes renégats.

Mais les difficultés militaires et économiques de l'Amérique font qu'elle est plus réticente que jamais à exercer le poids qui lui reste pour convaincre la Chine de corriger les politiques qui menacent de fausser les échanges commerciaux. Parce que la Chine est aussi une puissance militaire et politique et que les États-Unis ont besoin de son soutien sur nombre de dossiers internationaux. La Chine est devenue une puissance militaire avant de devenir un acteur économique mondial.

(Traduit de l'anglais par Frédérique Destribats)

© Project Syndicate www.project-syndicate.com

Le conseil de Deng Xiaoping - » dissimulez vos capacités et attendez le bon moment * - n'est plus vraiment de circonstance. La Chine n'a plus peur aujourd'hui d'afficher ses capacités militaires et de s'affirmer sur de multiples fronts

PHOTO - Tourists have their picture taken on Victoria Peak in Hong Kong on July 19, 2010. A department under China's National Tourism Administration recently issued an advisory regarding travel to the territory after a group of tourists from the mainland were allegedly insulted by a tour guide who was ordering them to spend more money on shopping.

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