Si l'on en croit les images publiées dans la presse chinoise du temps de Mao, le Grand Timonier avait des dents d'une blancheur étincelante, des cheveux de jais, un grain de peau irréprochable. Et les Chinois y croyaient dur comme fer. " La photographie, à l'époque, c'était la vérité ", explique l'artiste chinois Zhang Dali, qui expose aux Rencontres d'Arles d'étonnants travaux sur la manipulation des images en Chine. La commissaire d'exposition, Bérénice Angrémy, précise : " Avant les années 1960, il n'y avait pas de photo d'art en Chine. Et prendre des photos était interdit. Ce qui était publié dans la presse était donc accepté sans aucun recul. "
Zhang Dali, qui s'est fait connaître dans les années 1990 pour ses graffitis sur les murs de Beijing promis à la destruction, a mis cinq ans à faire aboutir son projet : mettre en lumière les montages d'images grossiers et systématiques effectués par le gouvernement chinois bien avant l'ère Photo-shop.
Grâce à des connaissances, il s'est fait discrètement ouvrir la porte des archives de journaux où il a trouvé, et copié, des documents pour le moins parlants, qui courent des années 1930 à 1990. " Au début, j'étais en colère, explique l'artiste. Je me demandais comment ils avaient pu manipuler la réalité comme ça. Ensuite je me suis attaché à montrer comment ils pensaient. Celui qui a le pouvoir peut changer l'histoire. "
Zhang Dali expose à Arles une centaine d'oeuvres où il place côte à côte la photo d'origine et ses divers avatars. Le tout agrémenté d'une touche personnelle : un tampon officiel orné de son nom, Zhang Dali, qu'il s'est fait fabriquer pour l'occasion.
Certains documents rappellent les travaux de l'historien David King sur l'URSS : les politiques sont effacés des images, et de l'histoire, au fur et à mesure de leur disgrâce. Ainsi, entre deux versions de la même photo montrant des officiels du régime, en 1964 puis 1977, un personnage a disparu : Liu Shaoqi, victime d'une purge lors de la révolution culturelle, n'apparaît plus aux côtés de Mao Zedong et Zhou Enlai. Un espace vide a pris sa place, rendant la photo bancale.
Là, l'exposition paraît vraiment lacunaire : Zhang Dali, qui se dit " artiste, pas historien ", n'a volontairement fourni aucune légende. Sauf que l'identité des personnes photographiées, évidente pour un Chinois, ne l'est pas pour les Français. Un peu de pédagogie ne nuirait pas à la force de l'ensemble.
Les images les plus surprenantes, cependant, ne montrent pas des retouches à visée politique mais plutôt esthétique. Les personnages perdent leurs rides, les murs lépreux sont ravalés, les vêtements sales deviennent propres. Dans la photo d'une assemblée prise dans les années 1960, tous les visages fermés ont été remplacés par des faces heureuses et souriantes.
Quant à Mao Zedong, pris en photo pendant l'épisode de la Longue Marche, il devient au fur et à mesure des années et des versions de moins en moins réaliste : colorisé, le visage lissé, isolé de tout contexte, il est hissé au rang de figure idéale, d'image sainte. Comme si le système ne visait plus à donner une vision officielle des choses, mais bien à construire une réalité parallèle et parfaite, celle de l'idéal communiste. A en croire Zhang Dali, tout le monde avait pris le pli. " Les gens qui retouchaient les images n'avaient pas besoin de directives, précise Zhang Dali. Ils embellissaient la réalité par habitude. "
La manipulation des images a-t-elle continué en Chine ? " Elle s'est encore accentuée depuis Tien-anmen ", juge l'artiste. L'arrivée de Photoshop a rendu les choses plus faciles et a surtout fait disparaître toutes les traces. Mais la donne a changé : " Depuis vingt ans, les Chinois ne sont plus aussi naïfs. "
Claire Guillot
" La seconde histoire ", Zhang Dali. -Rencontres de la photographie d'Arles, Espace Van-Gogh. Jusqu'au 19 septembre. De 10 heures à 19 heures. Forfaits festival de 21 ¤ à 35 ¤.
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