jeudi 21 octobre 2010

ANALYSE - Le petit bond en avant du PC chinois - Arnaud de la Grange


Le Figaro, no. 20592 - Le Figaro, vendredi, 15 octobre 2010, p. 2

Le plénum du comité central du PCC s'ouvre aujourd'hui à Pékin sur fond de lutte de pouvoir entre cadres aux origines modestes et « princes rouges », les enfants de vétérans de la Révolution.

Un prophète, ou un rêveur, s'est un jour risqué à dire que la République populaire de Chine serait un pays démocratique quand elle fêterait ses 100 ans, ce qui nous mène au crépuscule de 2049. Cet homme, c'était Deng Xiaoping, à qui Pékin doit aujourd'hui de piloter la deuxième économie mondiale. Dans l'esprit du père des réformes, cette évolution libérale était liée au niveau de développement du pays. Une question de temps, de générations.

Et de générations, il en est justement beaucoup question, alors que le plénum du PCC qui s'ouvre aujourd'hui est présenté comme une grande étape du chemin menant au 18e congrès de 2012. À cette date, l'équipe au pouvoir depuis dix ans passera la main. Elle cédera les rênes à la cinquième génération de dirigeants communistes chinois. La première était celle de Mao, la deuxième celle de Deng Xiaoping, la troisième celle de Jiang Zemin et la quatrième celle de l'actuel tandem Hu Jintao-Wen Jiabao.

La cinquième devrait voir arriver au faîte du pouvoir l'actuel vice-président Xi Jinping, tandis que le vice-premier ministre Li Keqiang remplacerait Wen Jiabao. Lors de ce plénum, censé affiner les réglages de la politique économique, tout le monde attend en fait de voir si Xi Jinping va être nommé au poste clé de vice-président de la puissante commission militaire centrale du Parti. Une règle non écrite de progression vers le pouvoir suprême, ayant valeur d'adoubement comme héritier présidentiel. Attendue au plénum de l'an dernier, cette promotion n'a pas été annoncée, alimentant les spéculations sur l'absence d'un compromis sur le sujet.

« Un changement tous les dix ans »

Au-delà des choix d'hommes, la grande question est celle du changement que peut insuffler la nouvelle génération. Va-t-elle gouverner différemment? Peut-elle infléchir son modèle politique? La trajectoire personnelle des futurs maîtres de Pékin diffère de celle de leurs aînés. Ils ont tous à peu près la mi-cinquantaine. « La grande différence, c'est qu'ils étaient enfants pendant la Révolution culturelle. Ils n'ont pas eu à en être des acteurs. Leur vie d'homme a commencé après, avec les réformes puis la période de « libération des esprits » des années 1980. Ils se sont nourris de cette oxygénation, de cette ouverture », explique le professeur Hu Xingdou, du Beijing Institute of Technology.

En 1966, début de cette décennie de plomb, Xi Jinping était à l'école secondaire. Quand elle s'est terminée, en 1976, le futur président chinois était étudiant dans la prestigieuse université de Tsinghua, à Pékin. « Leur manière de penser est différente. Je pense qu'ils ont plus la volonté de faire changer les choses, poursuit le professeur. D'ailleurs,estime-t-il , la République populaire vit depuis sa création au rythme d'un changement tous les dix ans... »

Le professeur Wang Guixi est moins optimiste. Cet universitaire a beau enseigner encore à l'École centrale du Parti, par où passent tous les hauts cadres du régime, il affiche une belle liberté de ton. « Le problème de ce pays est qu'il n'est pas gouverné par la loi mais par des hommes, confie-t-il, et la génération qui vient ne sera pas si différente de la précédente. Je ne nourris pas de grands espoirs de changement. » Même s'ils ont plus conscience de la nécessité d'une réforme politique, les dirigeants de demain seront rattrapés par le réflexe de la prise de risques minimale. Selon lui, il n'existe plus de leaders comme Deng Xiaoping, capables d'avoir une vision. Et de l'imposer. « Les nouveaux risquent encore de se contenter d'une gestion administrative du pays, pour éviter les ennuis, poursuit-il, nos décideurs savent que la réforme politique est dangereusement en retard sur le développement économique. Mais ils croient que le changement implique forcément le désordre. C'est le grand et tragique malentendu. » Wang Guixi et Hu Xingdou sont d'accord sur un point : le grand obstacle à la réforme, ce sont ce qu'on appelle ici les « groupes d'intérêts », au sein desquels puissances politique et économique sont intimement liées. « Ils bloquent le changement, parce que toute réforme suppose une redistribution des pouvoirs et des intérêts, explique Wang Guixiu, et le rajeunissement n'y changera rien. Au contraire, au début, ces groupes s'étaient organisés spontanément pour défendre leurs intérêts. Avec le temps, on est passé dans une phase plus consciente et organisée. »

Les réformes bloquées

La grille de lecture politique chinoise ne peut en effet se réduire à un affrontement entre deux camps, libéral et conservateur. Il y a bien sûr des sensibilités différentes, mais les fronts ne s'organisent pas en lignes claires autour de ces colorations. Les jeux de pouvoir se font plutôt entre ces « groupes d'intérêts » et quelques grandes « factions ». S'y entrecroisent relations d'affaires, solidarités familiales et réseaux sociaux. Et à Zhongnanhai, la « nouvelle Cité interdite » qui jouxte l'ancienne, les intrigues de palais et les luttes de factions n'ont rien à envier à celles des vieilles cours. La bataille actuelle est ainsi une lutte d'influence entre la « faction de la Ligue communiste de la jeunesse » - dont le président Hu Jintao est le chef de file - et celle des « fils de princes » (ou « princes rouges »), dont son successeur vraisemblable, Xi Jinping, est la grande figure. Les cadres aux humbles origines contre le « sang bleu ». Les « fils de princes » sont en effet les enfants de vétérans de la Révolution, des dignitaires du régime.

Le discret président Hu Jintao n'a sans doute pas la même légitimité historique que celle de ses prédécesseurs pour se désigner des successeurs. Fin observateur de l'opaque vie politique chinoise, Willy Lam fait remarquer « qu'il n'a certainement pas la forte stature d'un Mao, mais se montre habile et heureux dans l'injection de ses protégés de la Ligne de la jeunesse à tous les niveaux de responsabilité, du pouvoir central comme régional ». Cadres du Parti et gouverneurs en province, généraux au sein de l'Armée populaire de libération (APL), les nominations se sont accélérées depuis l'an dernier. Mieux, à l'inverse de nos démocraties fébriles et pressées, la Chine a comme force de savoir regarder loin. Et alors que la cinquième génération des dirigeants chinois n'est pas encore intronisée, de grandes manoeuvres sont déjà en cours pour modeler et placer des hommes dans la sixième... La presse chinoise spécule ainsi sur les deux hommes forts de 2022, en évoquant les noms de Hu Chunhua et de Sun Zhengcai, respectivement nommés patrons du Parti en Mongolie intérieure et dans la province de Jilin. De jeunes « quadras » n'ayant grandi que dans la Chine des réformes. Malheureusement, estime Willy Lam dans son récent rapport de la Jamestown Foundation, Hu Jintao continue à « privilégier la fiabilité politique à la compétence » dans le choix des hommes. Du coup, selon lui, « le double déficit en talents et idées fraîches risque de freiner les ambitions chinoises en cette première moitié de siècle ».

En attendant, et malgré les mystérieux appels de Wen Jiabao en faveur de la « réforme politique », l'heure est au verrouillage. On a vu la réaction chinoise au prix Nobel de la paix décerné au dissident Liu Xiaobo. Sur Internet, les grands sites et portails, comme Sina ou Sohu, se sont vu intimer l'ordre de créer un poste de « commissaire d'autodiscipline ». Fin juillet, Hu Jintao a convoqué le bureau politique pour se pencher sur un phénomène menaçant la « grande renaissance du peuple chinois ». Il a alors été décidé de lancer une campagne contre les « trois vulgarités », notamment à la télévision et sur Internet, qui bafouent les valeurs et la culture chinoises. Pour avoir trop voulu faire rire en imitant Mao, Jiang Zemin et même Wen Jiabao, le comique Zhou Libo a par exemple été rappelé à l'ordre.

C'est justement contre la censure que viennent de s'insurger une vingtaine d'anciens hauts cadres du Parti, aujourd'hui en retraite et parfois octogénaires. Parmi eux, l'ancien secrétaire de Mao, Li Rui, et un ex-rédacteur en chef du Quotidien du peuple. Dans une lettre à l'encre bien trempée, ils exhortent le gouvernement à respecter une liberté d'expression inscrite dans la Constitution chinoise, et dénoncent les honteux simulacres démocratiques du Parti. En les mettant à l'abri de la foudre répressive, l'âge leur permet bien sûr certaines hardiesses. Mais paradoxalement, cette fronde des « Anciens » montre aussi qu'aujourd'hui, en Chine, les idées les plus réformatrices et fraîches ne sont pas l'apanage des générations les plus jeunes.

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