Cent cinquante ans après sa destruction, le site de l'ancien Palais d'été mal valorisé prouve le manque d'intérêt du gouvernement chinois pour son patrimoine culturel.
Sur les sentiers de l'ancien Palais d'été, au nord-ouest de Pékin, les touristes enjambent quelques ruisseaux sous les ombrages. Cette promenade bucolique est pourtant bien loin de restituer ce qui fut jadis l'une des splendeurs de la Chine impériale. De ce joyau architectural et paysager, mis à sac et incendié par les troupes franco-britanniques le 18 octobre 1860, il ne reste aujourd'hui plus que quelques colonnades en ruine et des fondations fissurées.
Pourtant, de nombreux Chinois demeurent très attachés à ce site, et le sac du Palais reste perçu, cent cinquante ans plus tard, comme un viol barbare de leur culture. « Les Français et les Anglais ont agressé et détruit notre beau palais, nous ne pourrons jamais l'oublier ! » s'emporte un vieux touriste, tandis qu'une femme renchérit en qualifiant « d'animaux » les responsables du saccage. Si le ressentiment anti-européen reste aussi virulent, c'est que le souvenir de ce violent épisode de la fin de la seconde guerre de l'opium est inculqué à l'école dès le plus jeune âge, et entretenu par les médias.
À tel point qu'en février 2009, la mise aux enchères par Pierre Bergé de deux têtes de bronze pillées dans le palais, avait déclenché une vive protestation de la part de la Chine. Une colère largement attisée par la presse officielle dans un contexte de tension diplomatique avec la France.
Cette année, le ton est radicalement différent. Les médias sont même quasi muets. D'abord parce que les relations franco-chinoises se sont beaucoup réchauffées. Ensuite, parce « qu'on ne fête pas l'anniversaire d'une humiliation », glisse un historien pékinois. Peut-être aussi parce que les responsables du parc du Yuanmingyuan (le nom chinois du Palais d'été) se font très discrets depuis l'abandon en septembre de l'inventaire mondial des objets volés lancé en grande pompe un an plus tôt. Un échec dû, officiellement, à un manque de financement, mais que l'un des six experts de la mission, cité anonymement par le site d'information Allaboutnews.net, explique autrement : « La tâche est simplement trop difficile. » La Chine estime à 1,5 million le nombre d'objets du palais éparpillés dans près de 50 pays...
« À peine 130 éléments sont exposés ici, explique Liu Yang, un conservateur à l'Académie de recherches historiques de Pékin. Et ce sont des débris sans aucune valeur. » Rien de comparable avec la somptueuse collection de pièces issues du pillage, conservée au château de Fontainebleau et dont une photographie est accrochée au mur. Le jeune homme ne s'en offusque pas : « La seule chose qui compte, c'est que ces trésors soient bien préservés. »
Il fait partie de ces Chinois qui ne militent pas pour le retour des pièces éparpillées. Une jeune historienne à Pékin, explique, sous couvert d'anonymat : « Si ces pièces n'avaient pas été envoyées en Europe, il est probable qu'elles auraient été détruites par les Japonais pendant la guerre, ou par les Chinois eux-mêmes pendant la Révolution culturelle. Au moins, en France, elles sont bien protégées. » Et de poursuivre, très critique : « Il n'y a aucun système efficace de protection du patrimoine culturel en Chine, car le seul objectif du gouvernement est d'investir dans des activités qui rapportent de l'argent », explique-t-elle.
Signe de ce désintérêt des autorités, il y a encore quelques années, le palais était presque laissé à l'abandon. Autour de la partie accessible au public, qui ne représente qu'une toute petite partie des 350 hectares du site originel, des paysans avaient commencé à cultiver la terre, avant d'être récemment expulsés sous la pression indignée du public. De temps à autre, d'ambitieux projets se font jour, dont l'idée d'une reconstruction du palais à l'identique. Écartée par le gouvernement, elle garde des partisans actifs. « Ce n'est tout simplement pas possible, rétorque la jeune historienne de Pékin, parce que nous ne savons pas précisément à quoi ressemblait le palais originel. »
La construction d'un musée présentant la globalité du site est aussi régulièrement évoquée. « Mais nul ne sait si ça se fera un jour, notamment en raison du financement. », note Liu Yang, avocat spécialisé dans le rapatriement des antiquités chinoises (homonyme du premier). Même scepticisme à propos du projet de restauration de l'entrée d'origine du Palais d'été... Pour l'instant, seule une reconstitution en images de synthèse des édifices originels est en cours à l'université de Tsinghua.
RAMBAUD Manuel
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