La diplomatie chinoise ou la stratégie de « la dragée haute »
L'attribution du Prix Nobel de la paix au dalaï-lama, en 1989, n'a rien changé, diront certains, au sort du Tibet, exposé à une politique de sinisation toujours accrue. L'attribution de ce même prix, le 8 octobre, au dissident Liu Xiaobo confronte néanmoins la Chine émergente à un embarrassant problème d'image. Ce prix jette un coup de projecteur non seulement sur la situation intérieure en Chine, mais aussi sur le rôle que joue le régime de Pékin en matière de droits fondamentaux, bien au-delà de ses frontières.
La République populaire cultive en effet ses relations avec toute une clientèle de régimes autoritaires à travers le monde. Soudan, Zimbabwe, Sri Lanka, Birmanie, Corée du Nord... la liste est longue des Etats répressifs qui ont pu se prévaloir ces dernières années de la protection chinoise, celle-ci agissant, à l'ONU, souvent en tandem avec la diplomatie russe.
Le soutien aux dictatures est dispensé au nom d'une certaine conception de la souveraineté des Etats, et pour la défense des intérêts économiques chinois. La Chine a fait de son peu d'égards pour les droits de l'homme un argument de vente auprès de régimes autoritaires qu'elle courtise dans la bataille pour l'accès aux ressources naturelles. En faisant fi de toute conditionnalité pour l'aide économique, elle contribue à pérenniser des régimes abusifs, et affaiblit la capacité des Européens et des Etats-Unis à peser sur les modes de gouvernance, notamment en Afrique. La Chine est devenue un contrepoids au discours occidental sur les valeurs.
La junte birmane, en particulier, a bénéficié de cette « couverture » chinoise, elle qui maintient en détention un autre Prix Nobel, Aung San Suu Kyi. Pékin fait actuellement campagne à l'ONU contre la création d'une commission d'enquête internationale sur les crimes perpétrés en Birmanie.
En 2009, pendant que, au Sri Lanka, une offensive de l'armée contre les rebelles tamouls se soldait par des massacres de civils, la Chine avait, avec la Russie, empêché le Conseil de sécurité de l'ONU de se réunir sur la question. Sur le Darfour, Pékin n'a certes pas bloqué, en 2005, la saisine de la Cour pénale internationale, mais ses liens avec Khartoum ont mis le régime soudanais à l'abri de sanctions internationales.
Intolérables « interférences »
La réaction virulente des autorités chinoises au prix Nobel 2010 illustre à quel point les demandes extérieures se heurtent à un mur de refus. Le contraste est frappant avec le passé, quand le célèbre dissident chinois Wei Jingsheng avait fini par être libéré en 1997 après dix-huit ans d'incarcération. En réalité, il fut l'objet d'un marchandage politique entre l'administration Clinton et Pékin. Même chose pour la grande figure de l'opposition de l'ethnie ouïgoure musulmane, Rebiya Kadeer, qui fut elle aussi expulsée vers les Etats-Unis, en 2005, après plus de cinq ans de prison. Sa libération intervint juste avant la visite en Chine de la secrétaire d'Etat américaine d'alors, Condoleezza Rice.
Désormais, tout se passe comme si les pressions s'exerçaient en sens inverse : les demandes de respect des droits de l'homme par les pays démocratiques sont non seulement accueillies en Chine par l'habituelle formule offusquée dénonçant les intolérables « interférences » dans les affaires intérieures chinoises, mais les diplomates chinois sont à la manoeuvre pour empêcher que leur pays ne fasse l'objet de la moindre critique.
En 2009, le consulat chinois de Melbourne fit pression sur les organisateurs d'un festival international de films afin d'éviter qu'un documentaire sur Rebiya Kadeer ne soit présenté. Les organisateurs refusèrent de céder. Tout récemment, Pékin avait mis en garde le comité Nobel contre les retombées négatives d'une attribution du prix à Liu Xiaobo, évoquant des conséquences sur la relation entre la Norvège et la Chine.
Dans le cas de Liu Xiaobo, la réaction atténuée de la communauté internationale - Barack Obama est l'un des très rares chefs d'Etat à avoir salué ce prix, tandis que le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, s'est fendu d'une déclaration alambiquée - est pour Pékin un test crucial. La diplomatie chinoise entend ne plus jamais donner le sentiment qu'elle cède à des pressions de l'étranger, à un moment de son histoire où elle sent qu'elle peut tenir la dragée haute à ses interlocuteurs.
Natalie Nougayrède avec Bruno Philip (à Bangkok)
PHOTO - Foreign Ministry spokesman Ma Zhaoxu responds to a question about Liu Xiaobo who won the Nobel Peace Prize for this year during a press conference at China's Foreign Ministry in Beijing, China, Tuesday, Oct. 12, 2010. China has accused foreign governments of interfering in its political system by backing the awarding of the Nobel Peace Prize to the imprisoned dissident.
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