Cancun : comment changer le climat ?
La conférence sur le changement climatique, qui se tiendra du 29 novembre au 10 décembre au Mexique, met au jour les écarts entre pays riches et pauvres et les différentes stratégies pour inventer une planète durable.
Nous adressons cette lettre aux dirigeants politiques et économiques ainsi qu'au grand public. Cette année, nous avons assisté à des manifestations climatiques extrêmes dans de nombreuses régions du monde. Personne ne peut dire avec certitude que les inondations au Pakistan, les incidents sans précédent aux Etats-Unis, la vague de chaleur et la sécheresse en Russie, ou encore les inondations et les glissements de terrain au nord de la Chine ont été causés par le changement climatique. Ils constituent pourtant un sévère avertissement. Les manifestations extrêmes du climat seront toujours plus fréquentes et intenses dans ce contexte de réchauffement global.
Aucun accord contraignant n'a été décroché au sommet de Copenhague en décembre 2009. La divulgation de courriels de scientifiques de l'université d'East Anglia, que les sceptiques ont brandis comme la preuve de manipulation des données, ainsi que les erreurs trouvées dans le rapport publié par le Groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), a eu un écho considérable. Beaucoup de journaux, surtout de droite, ont fait leurs gros titres sur l'arrêt du réchauffement global ou écrit qu'il ne constituait plus un problème.
Pourtant, les découvertes scientifiques à ce sujet restent intactes. Le fait le plus pertinent à relever provient de mesures incontestables : la concentration de dioxyde de carbone (CO2) dans l'atmosphère est plus élevée qu'elle ne l'a jamais été pendant au moins un demi-million d'années. Elle a augmenté de 30 % depuis le début de l'ère industrielle, du fait surtout de la combustion d'énergies fossiles. Si le monde continue à dépendre de ce type d'énergie dans les proportions actuelles, le niveau de CO2 atteindra le double du niveau préindustriel d'ici cinquante ans. Cette accumulation provoque un effet de réchauffement climatique à long terme, les causes physiques en sont bien connues et peuvent être démontrées en laboratoire.
Des données de l'agence maritime américaine NOAA montre que 2010 est en lice pour être l'année la plus chaude globalement depuis le début de ses recensions en 1880. Le mois de juin a été le 304e mois consécutif avec une température au sol et dans l'océan au-dessus de la moyenne du XXe siècle. Un rapport de la NOAA datant de 2009 a analysé les résultats de quelque cinquante groupes de recherche indépendants à l'affût des changements de température, selon dix indicateurs distincts. Ces dix indicateurs ont montré une tendance nette au réchauffement au cours des vingt-cinq dernières années.
Il est indispensable de prendre un nouvel élan pour réveiller le monde de sa torpeur. Les catastrophes citées plus haut devraient avoir l'effet d'un coup de fouet. Les inondations au Pakistan ont laissé 20 millions de sans-abri. On ne peut laisser ce pays sombrer, pas plus que d'autres pays pauvres exposés aux catastrophes climatiques. Les chefs d'Etat devraient faciliter et accélérer les discussions en cours pour fournir un financement à large échelle afin que les pays pauvres puissent développer une infrastructure leur permettant de se prémunir contre les chocs climatiques.
Les Etats-Unis et la Chine sont de loin les pays les plus pollueurs du monde, libérant bien au-delà de 40 % des émissions totales. L'Union européenne poursuit sa politique de restriction progressive des émissions de ses pays membres. Mais quoi que fassent l'Europe et les autres pays, si la Chine et les Etats-Unis ne modifient pas leur politique actuelle, il y a peu, voire aucun espoir de freiner le changement climatique. Les Etats-Unis forment 4 % de la population mondiale mais produisent 25 % des émissions de carbone dans le monde. Avec ou sans législation fédérale, les Etats-Unis doivent assumer un rôle prépondérant pour endiguer le changement climatique. Le président américain Barack Obama devrait faire de cette lutte la plus haute priorité de son administration. Les populations locales, les organisations du secteur tertiaire, les villes et les Etats lancent des initiatives positives. Il faut que ces groupes exercent une pression à plusieurs niveaux pour encourager la réduction des émissions.
Les dirigeants chinois prennent de plus en plus conscience de la vulnérabilité de leur pays face au changement climatique. Ils sont en train d'investir dans les énergies renouvelables et la puissance nucléaire sur une échelle substantielle. Malgré cela, les émissions de gaz à effet de serre de la Chine continuent d'augmenter de façon régulière. La Chine a le droit et la nécessité de se développer, mais il lui faut un programme plus clair afin de montrer son intention de reculer sur la voie du carbone. Les hauts dirigeants chinois doivent formuler ce programme, le rendre public et l'ouvrir à un examen international minutieux.
L'accent actuel mis sur l'amélioration de l'efficacité énergétique est important, mais encore faut-il tracer la voie à suivre. La Russie est le troisième plus grand émetteur de gaz à effet de serre après les Etats-Unis et la Chine. Le président russe Dmitri Medvedev a proposé des objectifs pour son pays, mais ils restent pour l'heure sans effet. (...)
Il est surtout nécessaire de renouveler l'impulsion collaborative au niveau international. La conférence de l'ONU à Cancún en décembre ne promet pas, à l'heure actuelle, de faire démarrer des mesures à large échelle. Les Etats-Unis, la Chine, l'Union européenne et d'autres grands Etats tels que le Brésil et l'Inde, tout en prenant garde aux intérêts des plus petits pays, devraient travailler de concert et tenter d'induire un plus grand sens de l'urgence dans le processus.
Car enfin, la limitation des émissions de carbone ne sera pas qu'une affaire de régulation et d'objectifs. L'innovation, tant sociale, économique que technologique, sera centrale. Les responsables économiques éclairés devraient s'efforcer de tendre à ces fins-là. Les récompenses, après tout, sont gigantesques. Les actions à mener contre la menace du réchauffement, c'est-à-dire effectuer la transition vers un mode de vie qui dépende d'une énergie propre et efficace, créeront de nombreuses perspectives.
Traduction d'Emmanuel Gehrig
Anthony Giddens Martin Rees
Sociologue et membre du conseil scientifique de Terra Nova
Président de la Royal Society
de Londres
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