vendredi 26 novembre 2010

ANALYSE - Le réchauffement, une histoire longue - Emmanuel Le Roy Ladurie


Le Monde - Analyses, samedi, 27 novembre 2010, p. 22

Cancun : comment changer le climat ?

L'histoire du climat s'est placée pendant des siècles sous le signe d'une incontestable stabilité. Certes il y eut des fluctuations. A l'échelle séculaire, elles ne dépassaient que de peu, dans les cas extrêmes, un 0,5 oC pour les moyennes, séculaires elles aussi. Ainsi, du plus tiède du petit optimum médiéval (POM de 900 à 1300) au plus frais du petit âge glaciaire (PAG) dans ses modalités de la fin du XVIe siècle, on trouvait, selon le Scandinave Anders Moberg, 0,7 oC de moyenne en moins : ce chiffre, du reste, est peut-être exagéré. A l'échelle d'une trentaine d'années ou moins, ou davantage, de telles différences pouvaient atteindre (rarement) un degré, ou peu s'en faut, d'une quinzaine d'années grosso modo à la quinzaine suivante. Mais l'équilibre moyen se rétablissait rapidement et, de toute façon, une telle marche d'escalier en plus ou en moins n'était pas fréquente.

Grâce à Daniel Rousseau, nous disposons maintenant d'une série francilienne thermométrique continue de 1676 à 2009. Au fil de cette série, les décennies les plus tièdes se situent par exemple lors des années 1680, de 1775 à 1781, lors de l'époque Napoléon Bonaparte jusqu'en 1809-1811, et lors des années 1860 (première mort du petit âge glaciaire, gros recul de la mer de glace) et lors des années 1890 : celles-ci annoncent déjà, quoique de loin, le réchauffement du XXe siècle. Il s'agit pour l'essentiel, quant à ces dates, du semestre d'été (avril à septembre).

Pour les décennies les plus fraîches, on citera par exemple les années 1690 (grande famine de 1693-1694, 1,3 million de morts en France, ainsi que les famines dues au froid et à la pluie excessive en 1696-1697 en Ecosse, en Scandinavie, surtout en Finlande). Les éruptions volcaniques chères à Emmanuel Garnier diminuent " chez nous " le rayonnement solaire par projections d'aérosols : d'où de mauvaises récoltes (volcan de Tambora, 1815-1816).

Le réchauffement mondial commence en principe à partir de 1910-1911. Mais en France, le semestre d'hiver (octobre à mars) commence à s'attiédir dès 1893. Ce qui n'empêche pas l'occurrence de grands hivers (1929, 1940-1941-1942, 1954, 1956, 1963...).

Des vins extraordinaires

Le semestre d'été, lui, d'avril à septembre, s'échauffe définitivement depuis 1988-1989; mais toute cette histoire est elle-même fluctuante. Des années 1900, plutôt fraîches, aux années 1940, plutôt tièdes, l'Hexagone passe de 11,4 oC à 12 oC de moyenne décennale annuelle. Est-ce la faute du CO2 ? Ce n'est pas certain. Les beaux étés dès 1940 engendrent des vins extraordinaires : Mouton-Rothschild 1945, Château-Latour 1949, connotés par le grand incendie des Landes victimes de cette canicule en 1949 et pour cause.

Les automnes avaient pris " de l'avance à l'allumage " dès les années 1920. A partir de 1950 jusqu'à 1980 environ, survient un rafraîchissement momentané. L'Hexagone retombe à 11,7 oC (moyenne annuelle décennale toujours). Les cinquante-huitards du général de Gaulle et les soixante-huitards de Daniel Cohn-Bendit présidèrent à des années 1958 et 1968 qui, estivalement parlant, furent néfastes pour la vigne par excès de fraîcheur et de pluie.

A partir des années 1980, et surtout de 1988, le réchauffement repart de plus belle et cette fois-ci le CO2 et les autres gaz à effet de serre semblent bien être les coupables. François Renard, journaliste viticole au Monde, évoque l'inoubliable tiercé, ensoleillé, des grands millésimes bordelais 1988-1989-1990. L'année 1998, chaude à souhait, croule sous d'énormes moissons européennes, chaleureusement mûries. L'Italie, le Portugal et l'Espagne croulent eux aussi sous d'amples récoltes d'olives amoureuses de l'astre du jour. Les dix dernières années du XXe siècle et les dix premières années du XXIe, malgré quelques brèves rechutes, battent tous les records thermiques antérieurs. Les climatologues du Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (CEA - Pascal Yiou, Valérie Daux, Valérie Masson-Delmotte...) notent avec mélancolie ces culminations du chaud qui n'en finissent pas. Les vendanges sont plus précoces que jamais, sauf exception.

A Cancun en décembre, la partie semble mal engagée. Aux Etats-Unis, les extrémistes du Tea Party nient le Global Warming. La Chine veut devenir l'usine du monde, exorcisant ainsi la considérable pauvreté qui subsiste sur son territoire. L'Inde aussi. Mais que de gaz carbonique en perspective ! CO2 sur terre, CO2 sur mer, CO2 sur toute la Terre... L'Europe fait quelques efforts, mais le tourisme de masse est fertile en dioxyde de carbone. Même fertilité chez les hommes politiques, de gauche ou de droite, prêchant la croissance. Rares sont les citoyens qui renoncent à leur automobile. Georges Pompidou l'avait parfaitement compris : " Que voulez-vous, les gens aiment la bagnole ! "

Emmanuel Le Roy Ladurie

De l'Académie des sciences morales et politiques

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