jeudi 18 novembre 2010

Bernard Debré : « A Pyongyang, le temps est comme arrêté »

Le Point, no. 1992 - Monde, jeudi, 18 novembre 2010, p. 82,83

Le professeur s'est rendu en Corée du Nord à la demande des autorités.

Le Point : Vous étiez récemment en Corée du Nord pour opérer des malades de la prostate. Racontez-nous ce pays que l'on présente comme le plus fermé du monde.

Bernard Debré : Quand on arrive à Pyongyang, la capitale, la première chose qui frappe, c'est l'absence de lumière et d'électricité dans de très nombreux lieux. Il n'y a pas de chauffage dans les appartements, pas plus que dans les hôpitaux. Les grandes artères de la ville sont traversées par une multitude de personnes qui avancent à pied et en silence. On aperçoit parfois quelques voitures, souvent allemandes. Le temps est comme arrêté. Je n'ai pas vu sur place de téléphones. Les portables sont interdits, sauf pour les hauts dignitaires, et les étrangers sont priés de laisser les leurs à la douane. On m'a permis de garder le mien, mais, comme il n'y a que des relais sélectifs, il n'a servi à rien. Avec mon collaborateur, nous avons dormi dans un gigantesque hôtel qui m'a paru bien vide. J'avais une chambre semblable à un appartement, mêlant le désuet rococo et la modernité. Des serveurs étaient à notre disposition. Il m'est aussi arrivé de déjeuner dans un restaurant d'usine avec des fils d'ouvriers qui mangeaient des nouilles. Je n'étais évidemment pas libre de mes mouvements. Durant la totalité de mon séjour, soit cinq jours, j'avais en permanence un accompagnateur, un traducteur et un chauffeur.

Vous étiez invité par les autorités nord-coréennes. Comment cela s'est-il fait ?

J'ai opéré, à Paris, un certain nombre de personnalités nord-coréennes, sans d'abord savoir qui elles étaient. J'ai appris qu'il s'agissait de responsables politiques importants quand la DGSE est venue m'interroger dans mon bureau de l'hôpital Cochin. On m'a questionné sur les pathologies dont souffraient ces personnes, mais je n'ai évidemment rien dit au nom du secret médical. Afin d'assurer le suivi post-opératoire, ces responsables nord-coréens m'ont proposé de venir à Pyongyang. J'ai accepté d'y aller à mes frais et demandé à opérer des hommes et des femmes démunis.

Au diable, donc, les préoccupations en matière de droits de l'homme ? Seul compte le serment d'Hippocrate ?

Evidemment, il passe au-dessus de tout. Ma profession m'a conduit à aller dans des pays en guerre pour opérer des gens pas très recommandables, comme en Afghanistan ou au Pakistan. J'ai refusé une seule fois : c'était en Iran, quand on m'a demandé d'opérer un ayatollah au pouvoir. La Corée du Nord connaît certes des tensions avec le Japon et la Corée du Sud, mais le pays n'est pas en guerre.

Quel est le niveau de formation des médecins de ce pays ?

Très surprenant ! Beaucoup de médecins ont été formés en France. J'ai vu un radiothérapeute formé à Lyon, qui parlait très bien notre langue. Un cardiologue aussi, formé à Paris. La qualité n'est pas mauvaise du tout. Il leur manque seulement l'expérience, car les hôpitaux tournent au ralenti. Il y a peu de médicaments et les équipements ne fonctionnent pas toujours très bien.

Avez-vous fait des rencontres politiques ?

Oui, je me suis entretenu avec le ministre de la Santé, le ministre des Affaires étrangères et le numéro un théorique de la Corée du Nord, qui n'est pas Kim Jong-il, mais Kim Yong-nam, un homme qui n'a pas le pouvoir. Ils m'ont sollicité pour des dons de matériels. Quant à moi, je leur ai dit que je souhaitais poursuivre ma coopération dans le cadre de ma fondation Action pour la santé.

Vous ont-il fait passer des messages à l'attention de Nicolas Sarkozy ?

Non. Ils m'ont juste demandé pourquoi la France, tout comme le Japon et les Etats-Unis, ne reconnaît pas leur pays.

La mission de Jack Lang, envoyé spécial de l'Elysée en Corée du Nord, a-t-elle permis des avancées ?

Elle n'a pas été couronnée de succès, d'après ce que l'on a pu me dire. Jack Lang devait remettre une lettre de Nicolas Sarkozy à Kim Jong-il, qu'il n'a pas pu voir. Il a donc gardé cette lettre, ce qui a vexé les autorités. Par ailleurs, il a promis l'ouverture d'une représentation française à Pyongyang, ce qui n'a pas été fait. Les Nord-Coréens se demandent pourquoi. Je n'ai pas eu de réponse à leur apporter...

Plaidez-vous en faveur de cette reconnaissance ?

Progressive, oui. La Corée du Nord est à la croisée des chemins. Kim Jong-il est diminué, on sent des frémissements. Je préfère défendre la paix plutôt qu'un embargo qui touche d'abord la population.

Seriez-vous prêt à jouer un rôle de médiateur pour renouer le dialogue entre nos deux pays ?

Ce n'est pas mon rôle, même si je suis prêt à transmettre les voeux des dirigeants nord-coréens ou à dire ce que j'ai vu. C'est tout !

Propos recueillis par Saïd Mahrane

Bernard Debré, chef du service d'urologie de l'hôpital Cochin, à Paris.

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