Modèle ? Les Allemands n'ont ni ISF ni bouclier fiscal. Nicolas Sarkozy veut donc les copier. Sauf que...
Vive l'Allemagne ! La semaine dernière, Nicolas Sarkozy expliquait aux Français à la télévision qu'il fallait absolument que la France copie la fiscalité allemande, qu'elle supprime l'ISF et le bouclier fiscal pour rester compétitive, éviter les délocalisations et remettre en ordre les finances publiques. Au même instant, rue Cambon, à Paris, dans les locaux de la Cour des comptes, une vingtaine de personnes planchaient déjà sur le sujet. Un chef d'entreprise qui travaille beaucoup en Allemagne, plusieurs économistes de renom, un avocat fiscaliste, un expert-comptable, un professeur de droit... C'est Didier Migaud, le président de la Cour des comptes, qui a appelé ces experts voilà quelques semaines. En leur demandant d'aider ses équipes à résoudre un casse-tête d'envergure : décortiquer la fiscalité allemande et surtout copier ce qu'elle a de meilleur. Il y a urgence. Courant janvier, Migaud doit remettre à l'Elysée son rapport sur le sujet et cela fait plusieurs mois que, dans sa grande maison, on s'arrache les cheveux. Ce soir-là, les magistrats racontent à leurs invités où ils en sont de leurs travaux. Ils pensent avoir enfin compris toutes les subtilités d'un des gros morceaux de leur étude : la taxation des bénéfices des entreprises allemandes. Ce n'est qu'un brouillon. Mais ils ont déjà quelques biscuits. Ils ont même débusqué deux ou trois dispositions transposables en France. Sauf que, sitôt l'exposé terminé, patatras... En deux ou trois arguments, un des intervenants démonte une à une leurs belles trouvailles. Tout est à refaire.
Certes, depuis que Helmut Kohl l'a supprimé en 1997, l'Allemagne n'a plus d'impôt sur la fortune - il portait le joli nom de Vermögens-steuer. Certes, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, la plus haute autorité allemande, interdit une taxation « excessive »(soit, dans la plupart de ses décisions, plus de 50 % des revenus d'un contribuable, l'équivalent du bouclier fiscal). Le hic ? C'est que, pour le reste (l'ISF rapporte moins de 4 milliards dans les caisses de l'Etat français, sur près de 1 000 milliards de prélèvements obligatoires), en matière de complexité, les deux systèmes n'ont rien à envier l'un à l'autre...
Bonne joueuse, Angela Merkel a désigné un très haut fonctionnaire du ministère du Budget, Gert Müller-Gatermann, pour animer un groupe de travail et donner ainsi un coup de main à ces Français qui veulent tout comprendre des subtilités fiscales allemandes. Mais au Bundesministerium der Finanzen, l'équivalent de Bercy, où l'on est assez flatté d'être considéré comme un modèle, beaucoup rient sous cape du doux rêve de leurs voisins français. Et pour cause : en Allemagne, tout le monde critique aussi l'exceptionnelle complexité du système, le poids des prélèvements et ses dysfonctionnements... Et on se demande avec une certaine gourmandise comment, au-delà de la suppression de l'ISF, les Français vont s'y prendre pour « harmoniser » les deux fiscalités.
Le duel France-Allemagne. Prenons l'impôt sur les sociétés, qui, selon Nicolas Sarkozy, serait une des clés du « miracle » allemand. Sur le papier, les chefs d'entreprise français paient davantage que leurs collègues allemands. Ils sont imposés à un peu plus de 33 %, contre 29,9 % en Allemagne. Problème : en France, des dizaines de niches sociales et fiscales permettent d'innombrables déductions. Avec ce résultat : la taxation « réelle » des entreprises françaises ne dépasserait pas 22 % ! Illustration de cette situation : il y a quelques jours, une étude publiée par PricewaterhouseCoopers démontrait que l'attractivité fiscale de la France pour les entreprises n'était guère fameuse (la France était au 55e rang sur 183 pays étudiés). Mais elle affirmait aussi que l'Allemagne se classait encore plus mal : à la 88e place ! Plus étonnant, la même étude notait qu'en matière de simplification fiscale la France avait fait des efforts considérables et qu'elle était désormais dans le haut du tableau, tandis que les Allemands demeuraient en queue de peloton. Reste une particularité : les sociétés de personnes, très nombreuses en Allemagne, ces toutes petites PME dont les bénéfices versés aux associés sont considérés non pas comme des dividendes, mais comme des revenus...
Sport national. Harmoniser l'impôt sur le revenu (IR) relève aussi du casse-tête. Côté pile, les Allemands sont prélevés à la source, directement sur leur feuille de paie. Ils n'ont donc pas à remplir de déclaration. Côté face, cela encourage les entreprises à trouver de petits arrangements fiscaux avec leurs salariés. Un exemple : le nombre de voitures de fonction en Allemagne est beaucoup plus important qu'en France. Et la fraude fiscale - 30 milliards par an (soit autant qu'en France) - est considérée comme un sport national ! En réalité, et contrairement à une idée reçue, pour les revenus, les Français sont les gagnants du match fiscal avec les Allemands (l'IR représente 7 % du PIB, contre près de 10 % outre-Rhin). Et d'abord s'ils ont des enfants (il n'y a pas de quotient familial en Allemagne). Ensuite parce que l'assiette de l'impôt en Allemagne est beaucoup plus large (en France, seul un ménage sur deux paie l'impôt). Enfin, les gros revenus sont davantage taxés en Allemagne au titre de l'IR : un impôt « spécial riches » baptisé « impôt solidaire » a été créé par Angela Merkel. Et la dernière tranche (pour ceux dont les revenus excèdent 100 000 euros) peut être taxée jusqu'à 48 % (contre 40 % en France). Harmoniser reviendrait donc à augmenter les impôts des Français. Or Sarkozy a promis de ne pas augmenter les impôts...
« Calquer notre système sur celui des Allemands, pourquoi pas ? s'interroge Luc-Julien Saint-Amand, un des spécialistes du sujet chez ErnstetYoung.Mais c'est pharaonique : la fiscalité, ce n'est pas seulement des chiffres, il faudrait ouvrir le débat du financement de la politique familiale, de la protection sociale... » Patron de la Coffra, un cabinet de conseil aux entreprises installées des deux côtés du Rhin qui compte 120 collaborateurs, Kurt Schlotthauer est tout aussi sceptique : « Les Allemands sont fascinés par les dispositifs français, qui changent chaque année, à chaque loi de Finances. Il existe des taxes sur le logement, sur l'apprentissage et toute une série de microdispositifs qui nous paraissent assez surréalistes. Je ne vois pas les Allemands vouloir copier les Français. Quant aux Français, je ne les vois pas ajouter sur leur feuille d'impôt la contribution qu'ils souhaitent verser à l'Eglise, comme on le fait chez nous. Or, si on parle d'harmonisation, il faudrait que chacun fasse un pas, non ? »
Les Français sont envieux. Avant Sarkozy, d'autres ont pourtant tenté l'exercice. En 1989, Jacques Delors et Christiane Scrivener, alors à la Commission européenne, avaient imaginé un rapprochement des TVA dans l'Union européenne. Ils se sont cassé les dents. Autre initiative, celle d'Onno Ruding, un ancien ministre des Finances néerlandais qui, au début des années 90, pour le compte de l'Union européenne, a tenté pendant près de deux ans de rapprocher la fiscalité des entreprises dans quelques-uns des grands pays européens. Avant de jeter l'éponge.
Sarkozy en est convaincu. En répétant que la France doit copier le système fiscal allemand, il cherche à « vendre » son projet de suppression simultanée du bouclier fiscal et surtout de l'ISF. Mais il va plus loin. Il pense aussi que le fait de ressembler un peu plus au voisin allemand nous apportera le dynamisme de ce dernier, dopera la croissance et permettra de trouver de nouveaux moyens de financer la protection sociale. L'important, c'est d'y croire...
Paris-Berlin : le match de la fiscalité
IMPÔT SUR LE REVENU
France
L'assiette (nombre de contribuables) de l'impôt sur le revenu (IR) est très réduite : un ménage sur deux ne le paie pas. En revanche, l'IR ressemble à un gruyère : le système français compte près de 300 niches qui permettent d'alléger l'impôt. Quant aux familles, elles sont très privilégiées par le quotient familial, qui n'existe pas en Allemagne. Résultat : l'IR représente 7,5 % du PIB, contre près de 10 % en Allemagne.
Allemagne
L'IR est prélevé à la source, directement sur le salaire. Comme en France, l'IR est progressif. Il monte jusqu'à 42 % et même 45 % pour les gros revenus. Son assiette est beaucoup plus large qu'en France (entre 7 600 et 14 000 euros de revenus annuels, l'imposition s'élève de 15 à 24 % des revenus).
IMPÔTS SUR LES SOCIÉTÉS
France
Avec un taux qui dépasse 33 %, l'impôt sur les sociétés (IS) français est officiellement le plus fort de toute l'UE (taux moyen de 23 %, en baisse de 10 % depuis quinze ans). Les cotisations sociales sont plus importantes en France. Mais attention : il existe d'innombrables niches fiscales pour les entreprises (172 milliards d'euros de manque à gagner pour l'Etat, selon la Cour des comptes) et le mode de calcul est beaucoup plus favorable en France qu'en Allemagne, puisque le taux réel et global d'imposition des entreprises françaises ne dépasserait pas en réalité 22 % grâce à de très nombreuses exonérations.
Allemagne
L'IS était de plus de 38 % en 2007, il est aujourd'hui inférieur à 30 % (la hausse de la TVA a compensé les pertes de recettes pour l'Etat). L'IS est plus favorable aux gros employeurs de main-d'oeuvre, il est davantage concentré sur les entreprises qui dégagent des bénéfices importants.
TVA
France
19,6 % presque partout et 5,5 % dans certains secteurs (bâtiment, restauration). Avec ce résultat : elle rapporte environ 50 % des recettes de l'Etat.
Allemagne
19 % depuis 2007 (elle était à 16 % avant 2007). Particularité, elle finance l'Etat mais aussi la protection sociale. Le taux réduit ^
dont bénéficient certains secteurs (culture, etc.) est de 7%
IMPÔTS SUR LE PATRIMOINE
France
En 2008, 565 966 foyers ont payé l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Le bouclier fiscal a été mis en place en 2006 pour éviter que l'ensemble des impôts ne représente plus de 60 % des revenus d'un contribuable, puis plus de 50 % en 2007.
Allemagne
Il n'y a plus d'ISF (il s'appelait Vermögenssteuer) depuis 1997 (c'est Helmut Kohl qui y a mis fin). En revanche, les revenus du capital sont davantage taxés qu'en France.
SUCCESSIONS
France
Franchise sur les premiers 157 000 euros pour les héritiers. Et 20 % pour les patrimoines entre 15 000 et 544 000 euros (40 % au-delà de 1,7 million d'euros). Mais le système des donations entre vivants est assez favorable aux plus fortunés, qui peuvent léguer une partie de leur patrimoine à leurs descendants.
Allemagne
Les droits de succession en ligne directe sont de 15 % à partir d'un patrimoine d'un demi-million d'euros (30 % au-delà de 25 millions d'euros). Et ceux-ci sont généralement tout à fait légalement sous-évalués. La transmission des entreprises aux descendants est extrêmement favorisée.
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