Shanghai L'Exposition universelle a permis à la Chine d'orchestrer une formidable opération de séduction. Elle continue avec la tournée de Hu Jintao dans le monde.
Record battu, séduction réussie. En six mois (1er mai-31 octobre), près de 73 millions de personnes, dont 5 % d'étrangers, auront arpenté les 5 kilomètres carrés dédiés à l'Exposition universelle de Shanghai. Avec 10 millions d'entrées, le pavillon de France a même remporté la palme de l'affluence. Installé de part et d'autre du Huangpu, le fleuve qui irrigue la capitale économique chinoise (20 millions d'habitants), dans le prolongement du Bund, la promenade édifiée par les Occidentaux à la fin du XIXe siècle, et de Pudong, le quartier des affaires aux 600 buildings, cet événement était placé au coeur de la vitrine de cette Chine nouvelle et décomplexée que façonnent les mandarins rouges de Pékin.
«En suivant les désirs de mon coeur, je ne transgresserai aucune règle ». Cette citation de Confucius figurait au pavillon chinois pour célébrer la réconciliation de la Chine avec elle-même : un pays apaisé, sûr de sa valeur et de sa force, n'hésitant plus à s'ouvrir, à se montrer, à affirmer sa puissance. C'est ce qu'a fait le président Hu Jintao, à Paris les 4, 5 et 6 novembre, étape d'une série de voyages dans le monde. Il illustre le plan stratégique 2006-2015 de son pays qui donne la priorité à la consolidation des intérêts nationaux, tout en ménageant une place aux étrangers.
« Il faut s'intéresser à la Chine nouvelle et s'en méfier à la fois », sourit Cyril Bertschy. Conseiller du commerce extérieur, vice-président de la jeune chambre économique française de Shanghai, cet entrepreneur français déplore la lenteur avec laquelle les Français débarquent sur ce marché. « Boycotter ce pays est bien plus risqué que d'oser l'affronter », prévient-il tout en restant lucide sur les travers d'une économie qui « a fait en quinze ans le chemin que nous avons parcouru en cinquante ans ».
Avec 13 millions de véhicules écoulés chaque année, la Chine est devenue le premier marché automobile du monde. «Les constructeurs mondiaux et leurs partenaires doivent y être à l'affût », confirme Jean-Maurice Hébrard, directeur d'Erai Chine, une équipe d'une cinquantaine de collaborateurs ayant pour mission de «vendre» la Chine aux entreprises de la région Rhône-Alpes.
Ici, la crise mondiale appartient au passé. En 2010, les affaires ont repris de plus belle et l'économie a renoué avec son rythme de croissance habituel. Les experts tablent sur une hausse de 10 à 12 % du PIB. Les exportations françaises s'en ressentent. Au cours du premier semestre, elles ont bondi de 35 %. Les perspectives sont dopées par les grands projets d'infrastructure. Dans le domaine aérien, par exemple, 18 nouveaux aéroports verront le jour d'ici à 2013. Le besoin des compagnies intérieures en avions 150 places est estimé à 2000...
« La Chine poursuit une stratégie d'expansion économique très claire, décrypte Isabelle Fernandez, la directrice de l'antenne chinoise d'Ubifrance, l'agence française d'appui aux exportations. Autant que des Français en profitent. » Cette énarque pragmatique est fière de son bilan : 1 500 sociétés françaises supplémentaires accompagnées par son équipe de 88 personnes (qui en fait la première antenne du monde) en 2010; une recrudescence de 15 % expliquée tant par le boom des affaires que par l'effet de l'Expo.
À la première vague des années 1990 constituée du Cac 40 et des grands acheteurs, succède aujourd'hui celle des entreprises plus modestes, soustraitantes ou non, venues pour vendre et non pour réexporter. Shanghai est la destination préférée des sociétés françaises qui opèrent en Chine. Un tiers (650 sur 1 900) y est implanté. Première porte d'entrée des marchandises et des hommes dans le pays, pôle industriel majeur, capitale de la mode, la ville veut devenir une métropole de services et la locomotive de l'innovation.
L'accès est aisé mais le ticket d'entrée a fortement grimpé : la main-d'oeuvre est moins abondante et plus volatile qu'ailleurs; les salaires et les loyers dépassent la moyenne nationale. Étrangère ou autochtone, la concurrence existe. Dotés d'une excellente vitesse de réaction, les Allemands tiennent des chasses gardées, comme sur le marché des machines-outils. « Ils pratiquent systématiquement la «chasse en meute» et n'hésitent pas à dire non aux Chinois quand leurs intérêts vitaux sont en jeu », explique Alain Palisse.
Exportateur averti, patron d'un petit groupe de sociétés sous-traitantes qui fournit l'industrie automobile allemande, ce polyglotte scrute les évolutions du marché. Jusqu'alors, il a refusé d'écouter ses clients qui l'incitaient fortement à y construire une usine : « Ce qui se passe aujourd'hui me donne raison. Combien sont-ils à avoir accepté de dévoiler leur savoir-faire et à se retrouver quelques années plus tard en culottes courtes. Les entreprises assurées d'être tirées par un gros client peuvent sans doute foncer. Dans les autres cas, le niveau de risque est souvent proportionnel aux promesses : énorme ! »
Le nombre d'entreprises françaises qui gagnent vraiment de l'argent en Chine est un secret bien gardé du monde des affaires. « Les grands groupes ayant attaqué la Chine avec des solutions toutes faites se sont tous fourvoyés », concède pudiquement François Perruchot-Triboulet, avocat d'affaires basé à Shanghai pour le compte du cabinet Aklea.
«On peut tomber amoureux en restant méfiant»
Le fossé culturel amplifie les pièges de ce marché aux multiples facettes, à l'image de l'immensité du pays. « Ici, il faut voir grand rapidement, sinon les Chinois verront grand à votre place », avertit l'homme de loi. Témoignage d'un entrepreneur : « Vous créez une usine avec un partenaire local. Tout va bien jusqu'au moment où, sans raison particulière, les commandes baissent. Un jour, vous comprenez que votre partenaire a monté tout seul la même usine de l'autre côté de la rue. »
Les Occidentaux ont le savoir-faire et les Chinois connaissent les clients et les réseaux. Imbattables sur les prix, ils ont une notion floue de la propriété intellectuelle. Chez
eux, « vaincre sans combattre » est un art qui se pratique au quotidien. Et tout peut déraper sur un malentendu car ils ont horreur de perdre la face.
Actuellement, dans la ceinture industrielle de Shanghai, plusieurs propriétaires occidentaux d'usines dernier cri s'arrachent les cheveux. Elles tournent au ralenti ou sont stoppées par des difficultés insoupçonnées. Pour avoir dissimulé jusqu'à l'absurde son niveau
médiocre en anglais, le personnel chinois responsable de la maintenance est incapable de remédier aux pannes. Plus grave, les experts dépêchés sur place, en urgence et à prix d'or, constatent que le personnel n'assimile pas les explications fournies.
La faiblesse de l'encadrement intermédiaire et son manque de formation handicapent cette économie champignon, guettée par la surchauffe. Le fléau de la contrefaçon sévit partout, y compris contre les entrepreneurs chinois eux-mêmes. Le gouvernement tente d'y remédier avec des lois mais leur application varie selon les administrations territoriales.
Pour régler un différend ou obtenir une autorisation, mieux vaut connaître la bonne personne, au bon endroit : 70 % des sociétés chinoises sont contrôlées directement ou non par l'État. Derrière la façade, le parti tire toujours les ficelles. Dans les secteurs stratégiques, il est impossible pour un étranger de créer une entreprise de droit local sans partager la moitié du capital avec le bon partenaire chinois. Qui peut d'ailleurs s'avérer être le même que celui imposé à son principal concurrent...
À l'inverse, dans tous les autres secteurs, un étranger muni d'une licence officielle peut posséder 100 % du capital de la société qu'il a fondée. La liberté n'a alors de limite que le risque encouru ! Recommandation d'un Français vivant à Shanghai : « Ici, on ne sait jamais vraiment qui, du Chinois ou de l'étranger, choisit l'autre. On peut tomber amoureux, certes, mais à condition de rester méfiant. »
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