mardi 9 novembre 2010

OPINION - La barbe avec la Chine ! - Denis Stéphane

Valeurs Actuelles, no. 3859 - Tribune, jeudi, 11 novembre 2010, p. 26

Est-il vraiment nécessaire d'en faire autant ? M. Hu Jintao a été accueilli à Paris avec plus que du faste, de la révérence. Personne n'a su ce qu'il en pensait. Il était satisfait, sans doute; ce n'est pas tous les jours qu'on remporte un tel succès diplomatique. Non que nous comptions beaucoup pour la Chine, mais notre humiliation a valeur d'exemple. Les Chinois veulent faire des affaires, pas qu'on se mêle des leurs. Si les Européens ne l'ont pas compris en nous voyant nous mettre à plat ventre, c'est qu'ils ne regardent pas nos journaux télévisés.

Bien sûr, on peut considérer que le protocole n'est qu'une hypocrisie et que la garde républicaine vaut bien dix Airbus. Mais, à ce compte-là, autant rester fidèle à l'excellent principe de la VeRépublique : la France reconnaît des États, pas des régimes. Et le dire dès le départ. C'est manifestement l'opinion de Nicolas Sarkozy, qui se préoccupe légitimement du commerce français. Mais ce n'est pas une raison pour en faire trop dans l'autre sens. Rappelons-nous le colonel Kadhafi et son séjour sous la tente à l'hôtel de Marigny. Il avait les mains encore couvertes du sang des victimes de ses attentats. Dieu sait si nous respectons les intérêts des compagnies pétrolières, mais ils auraient tout aussi bien été défendus sans que nous nous sentions obligés de nous ridiculiser à 10mètres de l'Élysée. C'est une première erreur de croire que nous devons être les meilleurs amis de nos clients. C'en est une autre que d'ignorer le proverbe arabe : «La main qui recule enhardit le chien couard.» À quoi cela sert-il de faire la leçon au monde entier pour ensuite se prosterner devant un carnet de chèques ?

Mais c'est l'époque qui veut çà. On s'appelle par son prénom, on se tutoie. On se connaît à peine, on s'embrasse déjà. Comme on passe sa vie dans les sommets, les rencontres, les voyages, on est l'ami de tout le monde. Obama n'était pas élu que c'était la course à celui qui lui mettrait la main sur le bras. Cameron à peine au Numéro10 que «David» remplaçait «Gordon» comme «Barack» avait remplacé «George». Ensuite, quand les choses ne marchent pas comme prévu, comment expliquer à l'opinion publique, à la veille du G20, que David est plus que jamais favorable aux paradis fiscaux et que Barack, quand il vient par hasard à Paris, dîne au restaurant plutôt qu'à l'Élysée ? La Chine, a dit très justement Sarkozy, n'est pas une menace; c'est une opportunité. Peut-être devait-on aussi arrêter de nous seriner qu'elle est l'avenir du monde, que rien ne peut plus se faire sans elle et que l'avenir a définitivement changé de continent. La Chine est un grand pays, c'est une affaire entendue. Et alors ? C'est aussi un pays aux institutions vermoulues, aux contradictions explosives, aux gigantesques problèmes à court terme. Elle ne crée ni n'ajoute; elle copie le talent d'autrui et fabrique du bas de gamme qu'elle ne vend que parce que nous lui avons ouvert notre marché sans contrepartie - et quelle contrepartie pourrait-il y avoir avec un pays déculturé qui pratique sauvagement le dumping monétaire et social ? Traitons donc les Chinois comme ils nous traitent et, peut-être, M. Hu Jintao perdra-t-il un peu de son mépris muet mais expressif.

Même chose pour les États-Unis. Quand Obama a été élu, ce fut chez nous un déferlement d'amour. Il était beau, il était grand, il était noir, il allait faire tout ce qu'on attendait du successeur de Bush, sans trop savoir quoi d'ailleurs; la paix, la prospérité, la mise au pas de la finance, des discours intellectuels, une nouvelle Amérique adulée à Jérusalem comme à Bagdad. C'était idiot. Idiot de notre part, évidemment. Aujourd'hui, Obama n'a pas fait mieux que son prédécesseur; pire, il s'est révélé pusillanime, velléitaire, soumis à Wall Street, empêtré en Afghanistan et pas plus démiurge que n'importe qui. Mauvais, quoi. Il nous a aussi considérés, je veux parler des Européens, comme une quantité négligeable. Il a perdu ses élections. J'imagine qu'il se montrera moins condescendant, et nous surtout moins empressés, la prochaine fois qu'il aura besoin de la vieille Europe.

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