Le Monde - Environnement & Sciences, mardi, 23 novembre 2010, p. 4
La Chine a bien l'intention d'avancer ses pions dans la course aux ressources minérales sous-marines, dont l'exploitation, d'ici vingt ou trente ans, pourrait prendre le relais des réserves terrestres en voie d'épuisement.
Développé en secret depuis 2003, le Jiaolong, un submersible habité chinois, a atteint cet été 3 759 mètres de fond lors d'une plongée dans le sud de la mer de Chine - plus très loin, techniquement, des 5 000 mètres et quelques, atteints par exemple par le Nautile français, construit en 1984.
En théorie, le Jiaolong est capable d'opérer à 7 000 mètres de fond, alors que la limite du Shinkai, le submersible japonais, est de 6 500 mètres. " C'est le dernier-né des submersibles, il bénéficie des plus récentes avancées technologiques ", juge Pierre Cochonat, directeur adjoint de la prospection et de la stratégie scientifique à l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) et spécialiste des grands fonds.
A Qingdao, dans le Shandong, à l'est de Pékin, une base de recherche pour les systèmes marins de grande profondeur est en construction : elle accueillera le Jiaolong, basé pour l'instant à Wuxi, près de Shanghaï, mais aussi le reste des véhicules chinois sous-marins non habités.
L'entrée de la Chine au sein de la poignée de nations capables d'explorer les abysses est le résultat d'un effort intense en recherche et développement (R & D) : le Jiaolong fait ainsi partie des " projets-clés " du plan 863, l'un des grands programmes chinois. Une centaine d'instituts de recherche et de sociétés y ont participé.
Le sous-marin a été conçu par des experts chinois, affirme Liu Feng, directeur adjoint de la Comra (China Ocean Mineral Resources Research and Development Association), l'organisme chinois en charge du projet. La sphère habitée en titane a toutefois été importée de Russie. Le bras hydraulique et la mousse syntactique, qui résiste à de très fortes pressions, viennent des Etats-Unis, pionniers dans ce domaine, puisque Alvin, le submersible américain, est né en... 1964.
En revanche, l'hydrophone, le système acoustique de transmission des sons et des données, ainsi que les systèmes de pilotage automatiques, ont été mis au point en Chine : ils permettent notamment de naviguer en mode automatique, à distance constante du relief sous-marin, une première mondiale, selon M. Liu, qui a supervisé les plongées. " Nous sommes fiers d'avoir obtenu la plus grande manoeuvrabilité au monde ", dit-il. Le submersible dispose de sept hélices et de puissantes batteries.
L'exploration des ressources sous-marines est une vieille ambition dans le monde. Elle est relancée par les conditions économiques actuelles, avec la montée en puissance, bien plus vite que prévu, de gros consommateurs de matières premières, comme la Chine et l'Inde. Trois ou quatre types de ressources sont identifiés, comme les nodules de manganèse, ces pépites rocheuses riches en métaux qui jonchent les sols des océans. Ou encore les amas sulfurés, des montagnes sous-marines riches en métaux produites par les remontées de magma aux endroits où l'écorce terrestre se rompt. Les encroûtements cobaltifères, ainsi que les hydrates de méthane, sont d'autres gisements à très fort potentiel.
En mai, la Chine a surpris, en étant le premier pays à se porter candidat pour l'attribution d'une zone contractuelle, dans les eaux internationales, pour les dépôts sulfurés. Une société canadienne, Nautilus, en explore déjà, mais dans les eaux de Papouasie-Nouvelle-Guinée et prévoit de commencer l'exploitation en 2012 - une expérience qui sera, estime M. Cochonat, déterminante pour la suite. L'Ifremer a, de son côté, mené cet été une première campagne de prospection de champs hydrothermaux au large de Wallis-et-Futuna, dans la zone économique exclusive française.
La Chine n'a pas de dépôts sulfurés dans ses eaux, et la majeure partie des sites présumés se trouvent en eaux internationales, le long de la dorsale médio-océanique.
Un accord entre la Comra et l'Autorité internationale des fonds marins (ISA) doit encore être approuvé, et repose sur " l'exploration, et non l'exploitation ", tient à préciser Liu Feng, pour qui la question future de l'exploitation est tributaire " d'une combinaison de facteurs comme les prix des métaux, les réglementations, la technologie qui décideront si elle est faisable ou non en temps voulu ".
L'accord n'est pas passé inaperçu. " Dans le monde d'aujourd'hui, dès qu'on entend parler d'une position chinoise, ça compte, ne serait-ce que parce que les Chinois sont dans une situation très favorable, d'un point de vue des finances publiques, pour mener à bien de grands projets ", estime Pierre Cochonat. Il ouvre la voie à une accélération des recherches, à un moment où, selon le chercheur, le souci de la communauté scientifique d'aller plus loin dans les connaissances est concomitant avec celui des Etats de savoir ce qui pourra se faire dans les dix ou vingt ans à venir.
La géopolitique mondiale pourrait bien s'en trouver affectée. En plantant un drapeau au fond de la mer de Chine du Sud (PHOTO), lors de sa plongée record, cet été, non loin de zones disputées entre la Chine et ses voisins, le Jiaolong a ainsi hérissé quelques poils...
Brice Pedroletti
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