lundi 8 novembre 2010

L'artiste chinois Ai Weiwei assigné à résidence à Pékin - Harold Thibault

Le Monde - International, mardi, 9 novembre 2010, p. 8

Plusieurs centaines de personnes se sont réunies, dimanche 7 novembre, au nord de Shanghaï, pour " célébrer " la prochaine destruction de la galerie de l'artiste et militant Ai Weiwei, à l'invitation de celui-ci. L'intéressé n'était pourtant pas présent : les autorités lui avaient interdit de quitter son domicile, à Pékin, le temps d'un week-end.

L'insolence de son projet avait de quoi les irriter. Prévenu que le grand atelier de création qu'il a dessiné et dont la construction est à peine achevée est déjà promis à la destruction, l'artiste avait convié ses admirateurs à un déjeuner sur place, via Twitter. Au menu : des crabes de rivière, hexie en chinois, terme dont la prononciation s'approche de celle du mot " harmonie ", concept politique cher au président Hu Jintao et devenu, auprès des internautes, un moyen d'évoquer la censure.

Ironie de l'histoire, la municipalité de Shanghaï avait elle-même imploré Ai Weiwei deux ans auparavant de construire ce lieu éloigné du centre, sur un terrain entouré de champs et de marécages. L'espoir était alors de créer un endroit branché comme celui que M. Ai a su faire émerger à Caochangdi, au nord-est de Pékin. Ce sont ces mêmes autorités locales qui en ont ordonné la destruction.

Entre-temps, l'artiste a multiplié son engagement sur des sujets sensibles. Parmi ses faits d'armes, une enquête sur le nombre d'enfants tués dans l'effondrement d'écoles lors du séisme qui frappa, en mai 2008, la province du Sichuan, ou une photo de lui adressant un bras d'honneur au portrait de Mao Zedong trônant place Tiananmen.

Ai Weiwei estime que ce sont probablement un documentaire vidéo sur un dissident shanghaïen bloqué trois mois à l'aéroport de Tokyo, réalisé cette année, et un autre sur Yang Jia, un jeune homme exécuté à l'automne 2008 pour avoir tué six policiers dans la capitale économique et dont le procès avait provoqué l'ire des internautes, qui lui valent aujourd'hui d'être sur liste noire à Shanghaï.

Les autorités ont d'ailleurs tenté de limiter le succès de la partie de campagne de ce week-end. Certaines personnes ayant confirmé leur venue aux organisateurs par SMS ont reçu en retour un appel de la police leur conseillant de renoncer et des étudiants ont été sermonnés par leurs professeurs, qu'ils n'avaient pourtant pas prévenus.

" Ils ont perdu la bataille, dit Ai Weiwei, joint par téléphone dimanche. Ils tentent de dissuader les gens car dans une telle société la base du contrôle repose sur l'intimidation, mais ceux-ci ont de moins en moins peur. " Sa popularité se renforce à mesure que s'accroissent ses ennuis. " On m'a dit de ne pas venir en prétendant qu'il est antichinois, mais Ai Weiwei est le vrai patriote, expliquait un jeune homme, il combat dans la non-violence. " Ses admirateurs lui reconnaissent l'audace de ne pas se taire et de n'épargner personne.

Dans une tribune publiée lundi par le Guardian, au moment où débute la visite du premier ministre britannique, David Cameron, en Chine, M. Ai s'en prend cette fois-ci aux Occidentaux, dont la France, et les accuse d'abandonner les sujets qui fâchent en échange de contrats. " Vous ne pouvez pas simplement abandonner la croyance fondamentale en les droits de l'homme pour un gain à court terme ", écrit Ai Weiwei.

Harold Thibault

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