" Nous vivons au XXIe siècle sans ordre monétaire. " Voilà le constat que dressait, début octobre, Nicolas Sarkozy. Le président français, qui dirigera pour un an les travaux du G20 à partir du 12 novembre, dit vouloir poser les jalons d'un nouvel ordre monétaire international. Mais dans les faits, la réforme de ce système marqué par l'hégémonie du billet vert (85 % des transactions mondiales de changes, 62 % des réserves des banques centrales) est constamment à l'ordre du jour depuis la fin de la convertibilité du dollar en or voulue en 1971 par les Etats-Unis. Cette décision a fait basculer la planète dans l'ère des changes flottants, soumettant les économies aux caprices de la monnaie américaine. Pour beaucoup d'experts, ce système est inéquitable et source de nombreux déséquilibres. Passage en revue des pistes de réforme.
Détrôner le dollar. Et si tout redevenait comme avant ? Certains nostalgiques prônent tout simplement de revenir à l'étalon-or, comme à l'époque des changes fixes. Leur argument : " Tous les pays sont égaux face à l'or ", indique Jean-Marc Daniel, professeur d'économie à l'ESCP-EAP. " Aucun ne bénéficie d'un privilège exorbitant ", poursuit-il, comme aujourd'hui les Etats-Unis avec le dollar. Qui plus est, ce mécanisme automatique ne nécessite aucune régulation de la part d'une institution internationale.
Mais le rêve se heurte vite à la réalité, autrement dit à l'insuffisance du stock d'or disponible. Pas plus de 2 300 tonnes de ce métal précieux sont extraites chaque année. Une goutte d'eau comparée aux volumes qui circulent sur le marché des changes.
Pour autant, le projet de faire émerger une monnaie de réserve supra-souveraine déconnectée des nations individuelles reste en débat. Le concept n'est pas neuf : Keynes l'avait lui-même évoqué dès les années 1930 avec le " bancor ". Cette monnaie internationale serait gérée par une entité politique totalement indépendante jouant le rôle de prêteur en dernier ressort. Elle pourrait être émise pour renflouer les pays dont la balance des paiements est déficitaire. Ou encore pour relancer la demande mondiale, soutenir des projets d'intérêt public, telle la lutte contre le changement climatique, comme le suggérait le Prix Nobel d'économie américain -Joseph Stiglitz dans un rapport -rendu à l'ONU en 2009.
Reste qu'un tel projet est une véritable gageure, ne serait-ce que pour des raisons techniques. Car quelle pourrait être cette monnaie supranationale ? Régulièrement évoqué, le recours aux droits de tirage spéciaux, les fameux DTS du Fonds monétaire international (FMI), ne convainc pas vraiment. Cette unité de compte basée sur un panier de devises n'a pas d'existence matérielle et ne sert ni de monnaie de facturation ni de monnaie de transaction.
A défaut, certains experts préfèrent imaginer un système où coexisteraient plusieurs monnaies de réserve à jeu égal avec le dollar. L'euro, qui représente déjà 27 % des réserves mondiales de change, pourrait être une solution. Malgré des failles de conception, mises au jour lors de la crise grecque, cette devise est jugée stable et gérée par une banque centrale indépendante.
Le yuan chinois est perçu comme un autre concurrent sérieux du billet vert. A condition, bien sûr, qu'il devienne convertible, ce que les experts estiment possible d'ici une quinzaine d'années.
Mieux réguler et surveiller le système. Plutôt que d'imaginer un substitut au dollar, certains plaident pour une régulation et une surveillance plus strictes. Ainsi, pourquoi ne pas tout bonnement imposer des pénalités, voire exclure du système, les pays qui contrôlent leurs changes ? Aujourd'hui, seules quelques monnaies sont libres de fluctuer vis-à-vis du dollar. Beaucoup d'autres sont liées à la devise américaine par des régimes de change administré, et contribuent ainsi aux déséquilibres. Ainsi de la Chine, qui pilote étroitement la valeur du yuan, mais aussi de l'Algérie qui détient les plus grosses réserves de change du monde, rapportées au produit intérieur brut.
" On pourrait imaginer une réédition des accords du Louvre de 1987 ", suggère également M. Daniel. Les pays, non plus du G7, mais du G20, se réuniraient dans le cadre du FMI pour décider de dévaluer ou de réévaluer certaines monnaies en fixant une marge de fluctuation. Les banques centrales prendraient l'engagement d'intervenir pour faire respecter cette " bande passante ". Selon ses détracteurs, ce type d'accord risque toutefois d'encourager la spéculation et de se heurter aux intérêts individuels.
Plus largement, la question d'établir un arbitre internationalement reconnu, pour forcer des pays à revoir si besoin leur régime de change, est aujourd'hui posée. Cette mission figure déjà peu ou prou dans les mandats du FMI. Faut-il renforcer ses pouvoirs et lui accorder la gestion d'un fonds commun dans lequel il pourrait puiser pour intervenir sur les marchés ? Cette idée, qui implique des transferts de souveraineté, risquerait toutefois de se heurter à des résistances politiques. L'économiste Patrick Artus suggère plutôt de lui confier une " mission de contrôle de la création monétaire mondiale ".Multiplier les unions monétaires régionales. Pour certains experts, la réforme du système monétaire international passera sans doute d'abord par une multiplication des initiatives régionales. " Cette voie semble aujourd'hui beaucoup plus prometteuse qu'une construction à l'échelle globale ", juge par exemple André Cartapanis, professeur à Sciences Po Aix-en-Provence.
Selon l'économiste, " plusieurs gros blocs régionaux pourraient émerger qui renforceraient leur cohésion interne sur le plan politique, en matière de pilotage macroéconomique, de régulation financière et de changes ". Une façon, en l'absence de solutions concertées au niveau mondial, de garantir une relative stabilité des taux de change au sein d'une même entité géographique. En Europe, 16 pays - bientôt 17 - partagent déjà, avec l'euro, une monnaie unique. " En suivant cet exemple, on peut imaginer que se forment une zone dollar, une zone yuan et une zone monétaire en Amérique latine également ", décrit M. Cartapanis.
Marie de Vergès
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