jeudi 18 novembre 2010

Le miracle chinois menacé par l'inflation galopante - Harold Thibault

Le Monde - Economie, vendredi, 19 novembre 2010, p. 14

Sur le portail Internet Tianya, les internautes chinois ont encore quelques semaines pour élire le sinogramme incarnant le mieux l'année écoulée. Mais un favori s'impose déjà : le caractère " zhang ", signifiant " la hausse " des prix, devenue la première préoccupation des consommateurs autant que celle des dirigeants politiques.

Le Conseil d'Etat (le gouvernement chinois) a adopté, mercredi 17 novembre, une politique de contrôle des prix, à l'issue d'une réunion présidée par le premier ministre Wen Jiabao. Parmi les mesures visant à " rassurer les consommateurs ", Pékin promet d'améliorer le système de subventions, de contrôler si nécessaire les prix de vente de certaines denrées et de combattre la spéculation sur les produits alimentaires. " Les autorités doivent ajuster les prix promptement et avec modération ", précise un communiqué publié sur son site Web.

La mise en place de ce contrôle administratif, auquel le gouvernement chinois a déjà eu recours par le passé, fait suite à la publication de chiffres préoccupants sur le niveau de l'inflation. L'indice des prix à la consommation a grimpé de 4,4 % sur un an en octobre, un record au cours des deux dernières années, bien au-delà des 3,6 % déjà enregistrés en septembre.

La hausse des prix des denrées alimentaires nourrit particulièrement le mécontentement des citoyens. Le coût moyen de 18 variétés de légumes dans 36 villes a augmenté de 62,4 % en un an, soutenu par une très forte hausse ces dernières semaines.

L'augmentation du coût des matières premières est systématiquement répercutée sur les prix imposés aux consommateurs. Le géant du hamburger McDonald's, qui gère 1 135 restaurants en Chine, a ainsi annoncé une hausse de 0,5 à 1 yuan du prix de ses hamburgers. Son concurrent Kentucky Fried Chicken (KFC) a fait de même et la hausse se traduit également à la caisse des supermarchés. " Ce n'est pas tenable pour une famille moyenne, les prix de l'ail et du gingembre ont augmenté de plus de moitié ces derniers mois ", s'agace Viviane Wei, une mère de famille faisant ses courses à l'hypermarché Carrefour de Zhongshan, dans l'ouest de Shanghaï.

Portée limitée des mesures

Le premier ministre a appelé les officiels locaux à traiter le problème de la hausse des prix avec " la plus grande attention " car il concerne " l'intérêt immédiat du peuple ", lors d'une récente visite d'un supermarché de Canton. L'Etat a déjà puisé dans les réserves nationales depuis la fin du mois de septembre et introduit 62 400 tonnes de porc et 210 000 tonnes de sucre sur le marché. Il prévoit de céder de nouveau 200 000 tonnes de sucre le 22 novembre aux deux tiers de leur cours actuel.

Ces mesures administratives n'auront pourtant qu'une portée limitée, estiment plusieurs économistes. " Cela fonctionne normalement à court terme mais pas sur une longue période, dans la mesure où ces politiques ne résolvent pas le défi, qui est d'éponger l'excès de liquidités ou de le drainer vers des investissements alternatifs ", relève Ren Xianfang, économiste d'IHS Global Insight en Chine.

Pékin subit le revers d'une politique monétaire accommodante, s'appuyant sur des taux d'intérêt réels négatifs, et qui avait pour but de stimuler l'activité économique au cours de la crise. La Chine constate aujourd'hui que les liquidités injectées dans son économie sont venues nourrir un surinvestissement dans les secteurs les plus rentables comme l'immobilier.

Inquiètes de la hausse spectaculaire des prix des logements et des risques inhérents à une bulle, les autorités ont donc durci les règles d'investissement dans ce secteur, notamment pour l'achat de résidences secondaires. Une part des liquidités disponibles s'est repliée sur les matières premières et les produits agricoles, contribuant ainsi à la hausse du coût des denrées alimentaires et des prix à la consommation en général.

De mauvaises conditions climatiques cette année ont par ailleurs influé sur le prix anticipé des récoltes. Quant au récent assouplissement de la politique monétaire de la Réserve fédérale américaine (Fed), il accentue l'arrivée de fonds étrangers en quête de rentabilité dans l'économie des pays émergents, dont la Chine.

Le ministère du logement et l'autorité en charge des devises étrangères ont, de ce fait, restreint en début de semaine l'achat par des étrangers d'appartements à leur seule utilisation personnelle. De son côté, la banque centrale chinoise tente désormais de fermer les vannes du crédit, en augmentant les ratios de réserves imposés aux banques et en relevant ses taux.

La situation est jugée d'autant plus préoccupante que de nombreux experts jugent que l'inflation réelle est supérieure aux chiffres officiels. Les plus riches refusent souvent de remplir les questionnaires et les statistiques officielles n'illustrent donc pas les prix exorbitants qu'ils sont prêts à payer. Effectués auprès de 120 000 foyers, les sondages seraient par ailleurs incapables d'illustrer les choix d'un peu plus de 1,3 milliard d'habitants dont les habitudes de consommation changent à une vitesse fulgurante. Une étude de l'Académie chinoise des sciences sociales, récemment publiée, estime ainsi que l'inflation chinoise a été sous-évaluée de 7 % depuis cinq ans.

Harold Thibault

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