Le thon rouge va mieux. Alors que s'est ouverte, mercredi 17 novembre à Paris, la réunion des 48 membres de la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique (Iccat), qui devrait une fois encore être le théâtre d'un affrontement autour des quotas de pêche pour 2011, les scientifiques dressent pour la première fois un bilan relativement optimiste de l'état de santé de ce grand poisson migrateur, très lucratif, devenu un symbole de la surexploitation des ressources marines. Il était au bord de l'extinction en 2008, lors de la dernière évaluation du comité scientifique de l'Iccat, qui rassemble les meilleurs spécialistes mondiaux de l'espèce.
" Le stock ne court plus de danger d'extinction si l'on reste dans les niveaux actuels de quotas de pêche et qu'ils sont scrupuleusement respectés ", estime Alain Fonteneau, professeur émérite à l'Institut de recherche et de développement (IRD), représentant de l'Union européenne (UE) au comité scientifique de l'Iccat.
Les chercheurs appuient leur diagnostic sur plusieurs éléments positifs. Des observations aériennes montrent une augmentation significative du nombre de jeunes thons en mer et les rendements de certaines techniques de pêche traditionnelles (pêche sportive, madragues, palangres), dont les prises sont considérées comme des échantillonnages fiables, sont en augmentation.
Enfin, alors que la surexploitation et le non-respect des quotas étaient de règle entre le milieu des années 1990 et 2007, le comité relève une baisse importante des prises. " Une diminution significative a lieu en 2008 et 2009, souligne Jean-Marc Fromentin, de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), rapporteur du groupe de travail sur le thon rouge de l'Iccat. Ce sont les premiers effets du plan de sauvegarde mis en place en 2007, qui comprenait une baisse des quotas et des mesures de contrôle. La pêche illégale n'a sans doute pas complètement disparu, mais elle n'atteint plus les mêmes niveaux. "
M. Fromentin tient à tempérer le constat. " On observe une amélioration sensible, mais pas encore suffisante, prévient-il. Il ne faut pas relâcher la pression et il faut maintenir le plan pendant encore probablement une dizaine d'années. " Le stock actuel ne représente encore que 30 % de la biomasse souhaitable, à même de supporter une exploitation de façon durable.
Les scientifiques préconisent donc un quota compris entre 0 et 13 500 tonnes pour les années 2011 à 2013. " Dans tous les cas, on obtient une reconstitution du stock, mais plus ou moins rapidement, explique M. Fromentin. La détermination du chiffre relève de choix politiques. "
Avec un moratoire, les chances de reconstitution atteignent 60 % - un chiffre considéré comme élevé par les scientifiques - en 2019. Avec 13 500 tonnes, l'échéance est reculée à 2022. Ce quota, défendu par la France au nom de " l'équilibre entre économie et protection de l'environnement " est jugé " suffisamment bas et précautionneux " par M. Fonteneau.
Ce discours tranche avec celui des associations de protection de l'environnement, qui font pression depuis des années pour la sauvegarde de l'espèce, et continuent à réclamer la fermeture de la pêche industrielle. " Pour être en conformité avec la directive européenne sur la stratégie marine, la reconstitution doit être atteinte en 2020, donc le quota ne doit pas dépasser 6 000 tonnes allouées à la pêche artisanale ", affirme François Chartier, chargé du dossier chez Greenpeace.
Les écologistes mettent aussi l'accent sur les incertitudes dans les travaux scientifiques. " Il faut lire entre les lignes, estime Sue Liebermann du Pew Environment Group. On nous dit que les choses s'améliorent, mais on s'aperçoit qu'ils ont très peu de données. Et il ne faut pas oublier l'existence de la pêche illégale. " Cette ONG américaine réclame la fermeture totale de la pêche au nom du principe de précaution.
Les scientifiques ne nient pas ces imperfections. " Pendant des années, les sous-déclarations étaient la règle, donc on connaît très mal le passé, reconnaît M. Fonteneau. Par ailleurs, les modèles ne peuvent pas prendre en compte les mouvements de cette espèce qui est particulièrement imprévisible. "
Une réalité qui a toujours existé. " Tout avis scientifique comporte des incertitudes, cela ne l'invalide pas pour autant, souligne M. Fromentin. Mais ces incertitudes sont souvent utilisées par certains groupes d'intérêt pour discréditer un avis, quand il dérange. " " Le combat des écologistes, qui a été très utile à l'espèce, s'est longtemps appuyé sur les travaux scientifiques, observe M. Fonteneau. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. "
Les pêcheurs, eux, estiment que " les scientifiques sont d'accord pour 13 500 tonnes ", un quota qui permettrait aux thoniers-senneurs de poursuivre leur activité. " Désormais, il y a des observateurs à bord de tous les bateaux, le quota a été divisé par deux, l'avis scientifique est positif, énumère Bertrand Wendling, directeur de l'armement Sathoan. Mais les écologistes sont pris dans une fuite en avant. "
L'UE, qui doit parler d'une seule voix à l'Iccat, est une fois de plus divisée entre pays du Nord, qui souhaitent une diminution du quota, et pays du Sud, qui prônent son maintien. La commissaire européenne à la pêche, Maria Damanaki, a proposé une " baisse ", sans donner de chiffres. L'UE ne devrait fixer de position commune qu'au tout dernier moment.
Gaëlle Dupont
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