Le Monde - Economie, mercredi, 17 novembre 2010, p. 14
Dès l'ouverture du Salon aéronautique de Zhuhai, (Chine), mardi 16 novembre, le ton était donné : la Chine sera l'un des grands avionneurs du futur. La Commercial Aircraft Corporation of China (Comac) a annoncé, dans la matinée, les cent premières commandes de son C919.
Les acheteurs sont les trois grandes compagnies nationales - Air China, China Eastern et China Southern - ainsi que Hainan Airlines, et deux loueurs, le chinois CDB et l'américain GE Capital Aviation Services. Une quarantaine d'autres commandes pourraient suivre. Avec cet avion de 168 places, Pékin veut concurrencer dès 2016 les deux avions les plus vendus au monde, l'Airbus A320 et le Boeing 737.
La Comac avait déjà engrangé 240 commandes pour le premier avion commercial régional (90 places) développé par la Chine, l'ARJ-21, projet plus modeste que le C919, qui subit actuellement les tests de certification pour les marchés chinois et américain et dont les premières livraisons devraient avoir lieu fin 2011. Des ventes supplémentaires pourraient être signées à Zhuhai.
Avec le C919, Pékin s'est fixé depuis trois ans l'objectif d'exister sur le marché du transport aérien : il s'agit autant d'une question de fierté nationale et de rattrapage technologique - parfois comparée à l'envoi du premier taïkonaute dans l'espace - que d'un projet industriel conséquent en termes d'emplois. Jugée stratégique, l'industrie aéronautique devrait bénéficier du douzième plan quinquennal, qui guidera l'économie chinoise jusqu'en 2016 et dont l'annonce est prévue au printemps 2011.
Le marché " est tiré par l'urbanisation, la croissance économique et des fortunes personnelles en expansion constante ", jugeait, début novembre, Randy Tinseth, vice-président de Boeing chargé du marketing pour les avions civils. Les analyses d'Airbus vont dans le même sens. L'avionneur européen insiste sur le développement de l'urbanisation et des infrastructures. Si, actuellement 45 % du trafic intérieur est réalisé au départ ou à l'arrivée de trois villes (Shanghaï, Pékin et Hongkong), de nouvelles routes apparaissent, servies par des aéroports flambant neufs, dont le nombre devrait passer de 192 aujourd'hui à 244 en 2020.
Pour répondre à ces besoins intérieurs, les avionneurs estiment que les avions monocouloirs de plus de cent places - comme l'A320 d'Airbus, le 737 de Boeing et demain le C919 de Comac - sont les plus adaptés. Ils représenteront 70 % de la demande de nouveaux appareils d'ici à 2020.
C'est une des raisons pour lesquelles Airbus a inauguré, en 2008, à Tianjin (Nord-Est) une usine d'assemblage d'A320, en contrepartie de l'achat de 150 appareils par les compagnies chinoises. Le groupe européen rattrape son retard face à son rival américain en Chine, sa part de marché étant passée, en quelques années, de 15 % à 45 %. " Je pense que nous allons être rapidement à égalité avec Boeing sur le marché chinois ", assurait le 4 novembre Louis Gallois, le président d'EADS, maison mère d'Airbus, lors de la visite du président Hu Jintao en France.
Le ciel chinois s'ouvre par ailleurs aux besoins des nouveaux riches. L'Armée populaire de libération tolérera progressivement à partir de 2011 les vols à basse altitude de jets privés et d'hélicoptères. Elle les conditionnait jusqu'à présent à une procédure de demande de survol longue et complexe pour décourager les acheteurs potentiels. En parallèle, les " vols noirs ", sans autorisation, de jets privés se multipliaient, au détriment de la fluidité du trafic commercial.
Un nouveau rival, le train
Aussi prometteur que soit le marché, l'avion va affronter un nouveau concurrent en Chine : le train à grande vitesse, avec ses billets moins chers et ses gares au centre des villes. China Southern, la plus grosse compagnie aérienne asiatique, a dû diviser ses prix par cinq sur certaines destinations mais veut voir dans ce développement une opportunité d'attirer plus de voyageurs vers l'aéroport de Canton, pour les emmener vers des destinations plus lointaines.
La taille du réseau ferré de grande vitesse devrait doubler et atteindre 13 000 kilomètres d'ici 2012. Les derniers rails d'une nouvelle ligne de 1 300 km entre Pékin et Shanghai, autour de laquelle vit un quart de la population chinoise, ont été posés lundi. Le train reliera les capitales politique et économique en quatre heures dès l'été 2011. Référence à sa vitesse de pointe ou pied de nez à l'industrie occidentale, l'engin a été baptisé 380A.
Dominique Gallois et Harold Thibault
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