Relations franco-chinoises
Intérêts économiques, intérêts politiques, intérêt tout court... Enquête sur ces Français qui défendent sans nuances l'empire du Milieu, au mépris des droits de l'homme et autres " balivernes ".
Heureux comme un président chinois en France. C'est certainement la réflexion qu'a dû se faire Hu Jintao en arrivant, jeudi dernier, pour une visite d'Etat de trois jours. Il est loin le temps - deux ans, une éternité en Sarkozye - où le régime de Pékin tempêtait contre les effets d'annonce du chef de l'Etat au moment des jeux Olympiques. Ce vrai-faux soutien de Paris au dalaï-lama avait exaspéré les autorités chinoises, qui voyaient là une rupture avec l'entente totale entre les deux pays amorcée par de Gaulle, recherchée par Valéry Giscard d'Estaing, renforcée par Jacques Chirac.
Sarkozy lâché trop vite comme un jeune éléphanteau dans le magasin de porcelaine de l'empire du Milieu ? C'est Jean-Pierre Raffarin qui s'occupa de nettoyer la casse en se téléportant à Pékin. L'ancien Premier ministre est de toujours un défenseur sourcilleux des bonnes relations franco-chinoises.
L'heure était grave. Pour la première fois, le PDG du groupe de luxe LVMH, Bernard Arnault, était sorti de sa réserve pour dire à la une du Figaro sa colère : " Boycotter les JO n'est pas une solution. " Et d'expliquer que, certes, les Tibétains souffraient de leur situation, mais que les Chinois souffraient également des critiques qui étaient faites à leur encontre. Et d'entonner le couplet traditionnel sur la Chine qui a conduit d'immenses progrès depuis vingt ans, tant sur le développement économique " que sur son ouverture au monde ". Un avis partagé et défendu par l'adjoint au maire de Paris à la culture, Christophe Girard, qui a rejoint le groupe LVMH en 1999, lorsque le Conseil de Paris attribua le titre de citoyen d'honneur au dalaï-lama.
Depuis, le gouvernement a mis les bouchées doubles. 2009 fut incontestablement l'année du défilé français en Chine après que, dans un communiqué, les autorités chinoises eurent accepté un accord de réconciliation. Visite de Raffarin puis d'Anne-Marie Idrac, puis de Jacques Chirac, puis de Valéry Giscard d'Estaing, puis d'Eric Woerth, pour signer un accord de coopération anticontrefaçon (les Chinois en rient encore), puis Xavier Bertrand qui fit une nouvelle fois dans le zèle, en mettant au point un accord entre l'UMP et le PC chinois et en déclarant : " Cela change l'image traditionnelle des partis politiques français, tranquilles dans leur coin. " Qu'est-ce que l'UMP a appris du PCC ? Le limogeage des cadres, les méthodes policières, la censure à tous les étages ? Puis ce fut le tour de Christine Lagarde, qui avait eu le bon goût de ne pas être en séance lors du vote du Conseil de Paris sur le dalaï-lama. La ministre de l'Economie était accompagnée de 25 hommes d'affaires français, notamment le PDG de Danone, abonné au supplice chinois (voir encadré, p. 50), puis Jack Lang vint, ainsi que Jean-Louis Borloo, François Fillon... Ouf.
Il y a eu en France un mouvement maoïste. Georges Frêche se souvint qu'il y milita quand il envisagea d'ériger à Montpellier la statue du Grand Timonier. Il y a eu un tropisme de la gauche française pour le maoïsme ou, dernièrement, une méfiance à l'encontre de la cause tibétaine jugée trop " féodale ", Jean-Luc Mélenchon l'illustre parfaitement. Mais il y a surtout un néomaoïsme, une exception bien française qui a vu, depuis quelques décennies, une partie des acteurs politiques et économiques endosser les vieux habits du président Mao.
Le pays des paravents
Un homme est à l'origine de cet engouement pas toujours désintéressé : Alain Peyrefitte, ancien ministre de De Gaulle, de Pompidou et de Giscard, auteur de Quand la Chine s'éveillera... et petit timonier du Figaro. Durant trente ans, Peyrefitte a mobilisé toute son énergie pour accréditer l'idée d'une Chine différente, forcément différente, mais engagée dans une longue évolution. Durant trente ans, le Figaro a été l'organe officiel du PCC. Ce qu'il est encore, grâce à Serge Dassault, quand il déploie un tapis rouge pour un entretien aussi lénifiant que bienveillant avec Hu Jintao, ayant envahi la une du quotidien lundi dernier.
Dans un premier temps, cette approche était assez facile à défendre. Les entreprises françaises se vivaient comme des pionnières. Elles accumulaient des profits sur la fraction du marché chinois que Pékin lui concédait, mais, maintenant que le capitalisme occidental voit arriver le capital chinois, les défenseurs de la grande compréhension doivent trouver un autre discours, comme l'illustre celui de Jean-Pascal Tricoire, président du directoire de Schneider Electric et président du Comité France-Chine, dans une tribune au Figaro intitulée " Apprendre à vivre avec cette nouvelle Chine ". La Chine n'est pas que le pays de la porcelaine, c'est aussi celui des paravents. Il faut donc un nouveau discours et, cette fois, nos nouveaux gardes rouges se tournent vers les intellectuels. Mao doit se retourner dans sa tombe.
Le sinologue Jean-François Billeter, auteur de nombreux ouvrages sur la pensée et la civilisation chinoise, nous a mis en garde, à plusieurs reprises, contre une vision iréniste de la pensée chinoise : " L'idée générale que l'on se fait de la Chine, particulièrement en France, relève de l'idéologie impériale, elle en est un décalque idéalisé. "
Agacé de ce qu'il juge être un aveuglement, Billeter a écrit, il y a quatre ans, un essai contre le sinologue François Jullien, mais aussi contre tous ceux qui nous rendent incapables de comprendre combien ce que nous appelons la " civilisation chinoise " est lié au despotisme impérial et au souci d'empêcher l'émergence de la personne.
Car le sinologue François Jullien est très en vogue chez nos entrepreneurs. Il s'est retrouvé, d'ailleurs, assez vite dans les multiples colloques, conférences, rencontres organisées par le patronat français avec la bénédiction de Jean-Pierre Raffarin qui goûtait des formules comme " l'idéologie chinoise est plus situationnelle ", permettant de passer par-dessus le bastingage les droits de l'homme et le dalaï-lama.
Ce bon vieux relativisme
Infiniment plus subtile que ce que l'on en retient, la pensée de Jullien est néanmoins, aujourd'hui, réduite à sa plus simple expression : la Chine est autre, sa sagesse est autre, et un détour par cette pensée permettra de ressourcer notre identité occidentale. Cela dit, Jullien porte, lui-même, une part de responsabilité dans cette interprétation quand il déclare : " Je passe en Chine pour entendre d'autres paroles de l'origine et sortir de ce grand balancement entre Athènes et Jérusalem, entre le Bonheur grec et la Conscience malheureuse juive. " Placer des majuscules partout ne crée pas des concepts.
Et c'est là qu'entre en piste André Chieng, né en 1953 à Marseille de parents chinois, ancien élève de l'Ecole polytechnique. En 2001, Chieng s'est installé à Pékin, il est conseillàer de la province du Hebei, membre d'honneur du Conseil chinois pour la promotion du commerce international et vice-président du Comité France-Chine. En 1987, il a coécrit le livre les Nouvelles Routes de la soie, publié aux éditions Economica. Mais il a acquis une place de choix en publiant, avec la collaboration de François Jullien, la Pratique de la Chine. Qu'y lit-on ? Que les Occidentaux ont, à l'inverse des Chinois, une approche absolue de la vérité. Cela valait assurément le coup de parcourir des millénaires de pensées pour parvenir à un relativisme que l'on retrouvait sur le plateau d'Evelyne Thomas dans " C'est mon choix ". C'est, sans doute, au nom de ce bon vieux relativisme qu'André Chieng décrit la sanglante Révolution culturelle du président Mao : " Il était dans le vrai à 70 %, je serais moi-même content si on pouvait en dire autant pour moi. " Cette bienveillance tapageuse à l'égard de ce qui restera comme une des plus dramatiques purges de la seconde partie du XXe siècle fait davantage le bruit du tiroir-caisse que du tambourin.
© 2010 Marianne. Tous droits réservés.
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