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Pierre-François Souyri propose une magnifique histoire sur la longue durée, qui éclaire les ressorts profonds de la civilisation japonaise.
Ouvrir le livre de Pierre-François Souyri, c’est plonger doublement dans l’inconnu. C’est d’abord découvrir une histoire que bien peu connaissent en dehors de quelques épisodes récents généralement tragiques (les massacres de Nankin, Hiroshima et Nagasaki) et de mots dont on ne sait plus bien ce qu’ils recouvrent : époque Nara, shogun ou samouraï. Mais c’est aussi s’obliger à l’abandon des schémas de développement historique auxquels l’histoire du monde méditerranéen et occidental nous a habitués.
Car l’archipel a connu d’autres rythmes, liés tant à l’histoire qu’à la géographie. Pour cet archipel coupé tardivement du continent, la mer est tour à tour cause de retards sur les cultures voisines et sources d’échanges variés. D’où des situations qui laissent rêveur l’historien de l’Occident. Imagine-t-on une culture qui invente la céramique plusieurs millénaires (XIe millénaire) avant l’agriculture (Ve-IVe siècle avant notre ère), et dont les chasseurs-cueilleurs ont un habitat fixe ?
D’autres que moi, spécialistes du Japon, diront ce que cette Nouvelle Histoire apporte de neuf ou ce qu’il faut y redresser ou y contester, mais le lecteur « honnête homme » ne peut que prendre un plaisir extrême à l’histoire d’une civilisation qui ne cesse de nous prendre à contre-pied. Trouve-t-on l’archipel arriéré par rapport à ses voisins chinois et coréen ? Voilà que ses élites se mettent à l’école du continent et le rattrapent à marche forcée, adoptant l’écriture et le bouddhisme, se construisant une idéologie royale, n’hésitant pas à placer sur le trône du tenno (empereur) plusieurs femmes qui ne se contentent pas d’un rôle de figuration, émettant ses premières monnaies (fin VIIe-début VIIIe siècle), mettant en place un système bureaucratique et fiscal efficace, au point d’épuiser un peuple qui n’en peut plus de misère.
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Mais là encore, le Japon nous surprend : car la fermeture quasi totale aux étrangers n’est en rien synonyme de régression ou de stagnation. Au contraire, durant un siècle et demi, le pays se modernise, dans tous les domaines. Ce n’est qu’à l’extrême fin du XVIIIe siècle que se met en place une politique réellement conservatrice et, pour tout dire, réactionnaire, avant qu’une nouvelle révolution, celle de l’ère Meiji, en 1868, ne fasse entrer le pays dans le concert des nations. Nouveau chapitre d’une histoire que ce livre ne rend pas moins passionnante même si elle nous paraît mieux connue, et qui nous conduit jusqu’au Japon contemporain.
Peu d’historiens osent se lancer dans des synthèses de cette puissance, sur une telle durée, en raison de l’immensité des lectures qu’elles exigent. La tentative parfaitement réussie de Pierre-François Souyri montre que seule la longue durée, en donnant une épaisseur à l’histoire, permet de comprendre réellement les ressorts profonds d’une civilisation. Et si, au terme de la lecture, la singularité de l’archipel demeure, du moins percevons-nous mieux, débarrassés des clichés de notre imaginaire, comment s’est construite l’une des puissances majeures de notre temps.
Maurice Sartre, Professeur émérite à l’université de tours.
Nouvelle Histoire du Japon par Pierre-François Souyri
ÉDITIONS PERRIN
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