lundi 8 novembre 2010

OPINION - Mettre fin à l'impuissance du G20 - Olivier Pastré

Le Monde - Dialogues, mardi, 9 novembre 2010, p. 20

Le 11 novembre va s'ouvrir, dans la capitale coréenne, le G20 de tous les dangers. Cette institution, dont l'officialisation en novembre 2008 doit beaucoup à Nicolas Sarkozy, alors président de l'Union européenne, a fait naître, lors de sa création, d'immenses espoirs. On sortait enfin d'une gouvernance mondiale assurée par le G8, c'est-à-dire par le club des pays... les plus endettés de la planète (au premier rang desquels figuraient les Etats-Unis et la France).

Le G20 permettait d'associer au pilotage de l'économie mondiale les pays émergents (et en particulier les BRIC : Brésil, Russie, Inde, Chine) qui, non seulement n'avaient pas cédé au mirage de la financiarisation à l'origine de la crise actuelle, mais contribuaient, pour plus de la moitié, à la création de richesses à l'échelle mondiale. On allait enfin pouvoir discuter avec ceux qui détenaient les véritables clés de la sortie de crise et on allait enfin mettre en oeuvre une réforme financière de grande ampleur permettant de ne pas retomber dans les ornières de la dérégulation débridée et de la titrisation tous azimuts.

Las. Après que se sont tenus déjà quatre G20, le bilan de ce supposé sommet paraît plutôt maigre. Il était normal que le premier G20, à Washington en novembre 2008, s'en tienne à de simples déclarations d'intention. Deux mois à peine après la faillite de Lehman Brothers qui avait mis sur le flanc la finance mondiale, ces déclarations, aussi généreuses que floues, avaient quand même contribué à rassurer les marchés. Le seul G20 qui déboucha sur des mesures vraiment concrètes fut celui de Londres en avril 2009.

Trois chantiers furent, à cette occasion, ouverts et, pour partie, menés à bien : le renforcement des moyens financiers du Fonds monétaire international (FMI), la lutte contre les paradis fiscaux et la régulation des bonus des traders . Même si les déclarations triomphalistes faites à cette occasion (du type de celle de Nicolas Sarkozy sur le thème " Le temps du secret bancaire est révolu ") font, avec le recul, sourire, le G20 de Londres a marqué la volonté des principaux gouvernements de la planète de mettre en place de nouvelles règles de jeu.

Mais, depuis Londres, rien ou presque n'est sorti des G20. A Pittsburgh, en septembre 2009, la seule avancée a été une demande de réforme de la gouvernance du FMI (c'est le moins que l'on puisse demander à une institution dans laquelle le Brésil disposait de moins de droits de vote que la Belgique !). Quant au sommet de Toronto, en juin 2010, il a été complètement neutralisé par un double conflit : entre les Etats-Unis et l'Europe sur la relance budgétaire voulue par Barack Obama, et entre l'Europe et les pays se considérant comme vertueux en matière d'" innovations financières " (Canada, Australie, Japon, etc.) sur les taxes bancaires.

Nous en sommes là. 3 à 1. Trois sommets réduits à l'impuissance, sans odeur et sans saveur, de par les conflits d'intérêts opposant leurs participants de manière irréductible, contre un seul véritablement opérationnel, même si peu suivi d'effets. C'est là que les enjeux du sommet de Séoul prennent leur véritable dimension. Soit la réforme en profondeur du système financier mondial franchit une nouvelle étape à cette occasion, soit le G20 risque de se trouver relégué au rôle du " club des riches ", faisant mine de découvrir avec émerveillement que le soleil se lève à l'Est et qu'il vaut mieux être riche et en bonne santé que pauvre et malade !

Il faut se réveiller. En reconnaissant d'abord que la crise n'est pas finie. Et en acceptant l'idée que, sur la plupart des fronts, la réforme financière piétine. Qu'a-t-on fait en matière de supervision des hedge funds ou des agences de notation, en matière de réforme des marchés dérivés, en matière de coordination des politiques monétaires et budgétaires, en matière de lutte contre le protectionnisme, en matière de révision des normes comptables et prudentielles ? Rien ou presque. Si aucun progrès n'est réalisé à Séoul dans ces différents domaines, il y a fort à craindre que, les mêmes causes provoquant les mêmes effets, un nouveau krach financier mondial soit " au coin de la rue ".

La tentation des participants au G20 consiste à " botter en touche " sur la réforme financière et à se consacrer, corps et âme, à de nouvelles problématiques. La plus récente et la plus relayée par les médias est celle de la " guerre des monnaies ". Cette guerre existe bien, et pollue le commerce mondial. Mais, cette guerre a toujours existé et, surtout, elle implique, pour qu'un terme lui soit trouvé, des réformes en matière de rééquilibrage de l'épargne mondiale qui sont hors de portée de tout G20 pour les vingt ans qui viennent.

Cela permet d'éclairer les choix qui seront à opérer lors de la future présidence française du G20, qui va démarrer après Séoul. Je supplie le président de la République, à cette occasion historique, de ne pas lâcher la proie pour l'ombre. Les projets qu'on lui prête de réformer à la fois l'Organisation des Nations unies (ONU) et le système monétaire international sont extrêmement mobilisateurs et ambitieux.

Mais ils sont vains. Car, hors de portée d'une communauté internationale qui peine à coopérer sur des projets bien plus terre à terre. Qui trop embrasse, mal étreint. La présidence française du G20 s'honorerait si, sur les principaux chantiers de réforme financière évoqués précédemment, des progrès effectifs étaient réalisés comme ce fut le cas à Londres. Cet objectif est peut-être moins glamour que celui de la " paix des monnaies ", mais il est, sur le fond, incroyablement plus ambitieux.

Pour revenir au G20 de Séoul, deux solutions. Soit de véritables progrès sont réalisés, à commencer par la création d'un secrétariat permanent du G20. Soit il y a fort à parier que les marchés, inquiétés par l'absence de pilote dans l'avion, nous le fassent payer, dans un futur proche. Et pourquoi alors ne pas préférer à ce forum de velléitaires, un G9 (le G8 + la Chine) de crise, plus ramassé et donc plus opérationnel. Messieurs les " maîtres du monde ", le choix vous appartient...

Olivier Pastré

Professeur à l'université

Paris-VIII

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