La visite du président Hu Jintao à Paris n'est pas un événement ordinaire. Ce déplacement, prévu en dernière minute, montre l'intérêt, pour ne pas dire plus, que la Chine porte aux décisions encore incertaines du G20, à partir de janvier 2011. La question que tout le monde se pose à Pékin, c'est de savoir jusqu'à quel point les États-Unis useront de la pression d'un forum mondial de plus en plus légitime pour contraindre Pékin à une réévaluation significative de sa monnaie, le yuan.
Pour le gouvernement chinois, il s'agit là d'une menace redoutable dans la perspective de la tenue du congrès communiste, en 2012. Ayant à gérer un courant nationaliste relativement puissant dans lequel se reconnaissent les nostalgiques de Mao, le pouvoir central ne peut, en toute évidence, souscrire à un diktat en matière monétaire qui manifesterait, en plein jour, sa souveraineté limitée par les exigences de la mondialisation.
Pourtant, c'est mal connaître les Chinois que d'imaginer qu'ils soient totalement insensibles face aux revendications du reste du monde qui constate que sa politique de dépréciation monétaire systématique aboutit à accélérer ses exportations et à renchérir, inutilement, ses importations.
Mais il y a une vaste différence entre un diagnostic que les esprits éclairés chinois peuvent partiellement partager et une perte de face, dont la sanction immédiate serait de faire monter les contestations à l'intérieur de la direction suprême. Dans ce domaine, Hu Jintao a déjà montré, lors de son avènement, de quoi il était capable en matière de déguisement idéologique comme en matière de pragmatisme bienvenu.
Contrairement au président sortant, qui avait obtenu les mains libres en matière intérieure en suivant aveuglément les poussées d'adrénaline de ses militaires, Hu Jintao a tout de suite voulu imposer, sans perdre la face, un compromis définitif en matière taïwanaise. Il fit donc d'abord adopter par la direction du Parti et le « Congrès du peuple chinois », un long texte de principe consacré à la réunification avec Taïwan. Mais, une fois ce texte adopté, les principes étaient donnés et le nouveau président passa immédiatement à un désarmement moral presque complet.
Peut-on arriver à un même résultat au G20 en matière monétaire? La France, et Nicolas Sarkozy en particulier, pense que oui. Dès lors que l'aréopage mondialiste qu'est le G20 ne s'en transformera pas en chambre d'accusation de Pékin, des progrès sont réellement possibles, à condition qu'on sauve la face à la Chine.
Quel est le problème le plus grave, en effet, que représente la politique économique chinoise? Il s'agit moins de la préférence à l'exportation (conséquence de l'actuelle gestion léniniste de la croissance chinoise) que de la préférence à l'investissement qui représente un élément de perturbation considérable de tout le système des échanges mondiaux. Le partage entre salaires et profits ne laisse, en effet, que 35 % du revenu disponible au travail, le reste allant au capital et aux budgets de défense. Même la relance économique de 2009, plus importante en volume que le stimulant américain à la même période, a surtout été consacrée à des dépenses d'infrastructure plutôt qu'à la consommation individuelle.
Par ailleurs, ce déséquilibre s'accompagne d'une série de mesures protectionnistes de l'économie intérieure qui contrarie davantage encore des importations, de toute façon, rendues difficiles par l'actuelle parité monétaire. Mais si l'on pose le problème ainsi, on peut aussi considérer que c'est la politique de compression de la consommation intérieure qui est prioritaire, l'ajustement monétaire venant ensuite de lui-même, et sans publicité excessive.
Il existe aujourd'hui, sur le papier, en Chine, le plus grand marché solvable de la planète. Européens et Américains pourraient aisément réduire leur déficit commercial avec la Chine. La stratégie de la France est donc toute trouvée : mettre en avant des objectifs stratégiques qualitatifs, en faisant confiance à Pékin pour trouver une porte de sortie honorable qui rappelle, dans ce domaine, ce que Hu Jintao a tout de suite jugé possible en matière taïwanaise, pour se débarrasser d'emblée des pressions dogmatiques et chauvines de ses adversaires. Voilà pourquoi, pour les héritiers légitimes de Deng Xiaoping, Paris, une fois de plus, vaut bien une messe.
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