L'icône intransigeante de la résistance au régime militaire honni
AUNG SAN SUU KYI incarne l'esprit de résistance contre la junte birmane, au pouvoir depuis 1962 sous la forme de différents avatars militaires. Elle est la figure d'une intransigeance de type gandhien, déterminée à ne rien céder à la dictature. Elle a payé le prix fort de son courage : depuis 1990, date à laquelle son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (NLD), a remporté haut la main des élections annulées aussitôt après par le régime, elle a passé quinze années en résidence surveillée. La " dame ", comme on l'appelle en Birmanie, vivait recluse dans sa maison de style colonial située sur les berges d'un lac de Rangoun, l'ancienne capitale de Birmanie. Mais, à 65 ans, le Prix Nobel de la paix 1991, apparaît politiquement de plus en plus isolé.
Si personne ne conteste que des élections libres auraient dû la propulser au poste de premier ministre de l'Union de Myanmar, elle est aujourd'hui la responsable d'un parti divisé : certains des responsables ont fait sécession avant les premières élections générales depuis vingt ans organisées le 7 novembre. La Force démocratique nationale (NDF), composée de dissidents de la formation de Mme Suu Kyi, a décidé de présenter des candidats. Ces derniers ont estimé qu'il valait mieux jouer la partie électorale, aussi déséquilibrée soit-elle au vu de la nature du régime.
Aung San Suu Kyi ne s'est pas prononcée ouvertement pour le boycottage, considéré par la dictature birmane comme un crime passible de prison, mais elle a fait savoir qu'elle ne voterait pas et elle a encouragé les membres de son parti à faire de même.
Pour certains observateurs, y compris ceux qui sont issus de la mouvance de l'opposition à la junte, elle " n'a pas fait les bons choix ", ainsi que le juge Khin Zaw Win, un ancien prisonnier politique qui vit à Rangoun. Cité par l'AFP, ce dissident estime qu'elle a " laissé passer je ne sais combien d'occasions de faire quelque chose de vraiment positif pour le pays et pour elle-même "... " Je n'ai jamais mis en doute son intégrité ni son honnêteté et son courage, ajoute Aung Naing Oo, un analyste des questions birmanes basé en Thaïlande, mais je pense qu'elle n'a développé aucune stratégie. Si elle poursuit cette voie-là, cela ne la conduira nulle part. "
Résidence prison
Aung San Suu Kyi reste cependant l'icône incontestée d'une force de résistance à un régime militaire sanglant, sujet à l'opprobre de la plupart des nations démocratiques, à l'exception de la Chine, son principal soutien politique et pourvoyeur d'armes. Eduquée à Oxford, elle tire sa légitimité de la figure de son père, le général Aung San, premier leader de la Birmanie assassiné par ses rivaux l'année de l'indépendance, en 1947. Sa mère devint par la suite une diplomate qui fut notamment ambassadrice de son pays en Inde. Mariée à un Britannique spécialiste du Tibet, Daw (titre de respect en Birmanie) Suu Kyi a une histoire et une personnalité qui tranchent par leur singularité.
Jusqu'à son retour dans son pays en 1988, l'année de la répression contre des manifestations populaires - sans doute plusieurs milliers de morts -, elle avait vécu plus longtemps en Grande-Bretagne et en Inde qu'en Birmanie. En 1989, elle est placée en résidence surveillée. Depuis, même si elle a été libérée à plusieurs reprises, elle a passé le plus clair de son temps dans sa résidence-prison de Rangoun, partageant son temps entre la méditation et la lecture de romans policiers. En 2003, elle a échappé à une tentative d'assassinat de partisans de la junte.
Elle a toujours refusé toute concession au régime. Même quand son mari, Michael Aris, atteint d'un cancer, était en train de mourir en Angleterre, elle n'a pas quitté son pays, pensant à juste titre qu'elle ne pourrait plus y revenir. Elle ne l'a pas revu avant sa mort, en 1999. Elle n'a pas non plus revu ses deux fils depuis une dizaine d'années.
En dépit de son intransigeance, Aung San Suu Kyi a parfois proposé d'instaurer un dialogue avec la junte, mais ses ouvertures ont toujours été accueillies par une fin de non-recevoir par les généraux. Than Shwe, l'homme fort de la Birmanie, la considère comme l'ennemie numéro un avec laquelle il est exclu de négocier. Avant les élections du 7 novembre, Aung San Suu Kyi avait été claire : ce scrutin n'aboutira à rien, sinon " à prolonger la dictature militaire ", avait-elle fait savoir dans un communiqué publié par son parti.
Service international
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