Après une délocalisation en 2007, le fabricant de skis devrait rapatrier sa production asiatique en Haute-Savoie d'ici janvier.
C'est une pratique tellement rare que le mot n'est pas dans le dictionnaire. Le fabricant de ski Rossignol a annoncé qu'il allait «relocaliser» des emplois en France. Le geste n'a rien de patriotique. Il est d'abord économique. Et un peu symbolique. Rossignol va rapatrier d'ici janvier la production de 60 000 paires de skis de Taïwan à Sallanches, en Haute-Savoie, dans l'un des sites historiques du groupe, berceau de la marque Dynastar. Cette usine, dernière fabrique de skis en France depuis la fermeture de Salomon l'an dernier, produit 170 000 paires par an (sur 850 000 vendues chaque année par Rossignol).
Le volume rapatrié n'est donc pas anecdotique pour Sallanches. Le nombre de créations d'emplois résultant de cette relocalisation est en revanche plus modeste. Vingt équivalents temps plein, pour la plupart des CDD ou des CDI à temps partiel qui ne compensent pas les suppressions d'emplois ces dernières années chez Rossignol. En cinq ans, le groupe a perdu près la moitié de ses salariés, passant de 2 300 emplois dans le monde en 2005 à 1 200 aujourd'hui.
«Contraignant». En 2009, sur le site de Sallanches, un tiers des emplois ont été supprimés ou transférés au siège de Moirans, en Isère. Un jeu de bascule qui s'inscrit dans le plan de relance initié l'an dernier et que le PDG, Bruno Cercley, appelle «un retournement d'entreprise» (lire ci-contre). En clair : faire de Rossignol, dans le rouge depuis le début des années 2000, une société à nouveau rentable et, si possible, durable. Or, dans cette grande opération de rationalisation des coûts, des moyens et des objectifs, il s'est avéré que les délocalisations n'étaient pas toujours avantageuses. «Nous nous sommes aperçus que produire à Taïwan nous coûtait à peu près la même chose que de produire en France. Sauf que c'est beaucoup plus contraignant pour nous. On a des délais plus longs, on perd en flexibilité», résume Cercley.
Le calcul a été assez simple pour Rossignol. Les matières représentent 70% du coût de la fabrication d'un ski. Or, ces polyéthylènes très spécifiques ne sont fabriquées qu'en Europe. Il fallait donc d'abord les exporter à Taïwan. Première contrainte, premiers surcoûts. Ensuite, le faible coût de la main-d'oeuvre n'était pas aussi intéressant qu'il semblait. Comme l'explique Mimmo Salerno, directeur de l'usine de Sallanches, «le faible taux horaire de la main-d'oeuvre asiatique est à multiplier avec un temps de fabrication plus long en raison d'une moins forte automatisation, ce qui fait qu'on ne gagne que très légèrement au total». D'autant que pour la fabrication de ces skis «entrée de gamme», le coût de la main-d'oeuvre, même en France, représente moins de 20% des coûts de production. Enfin, le temps de transport (six à huit semaines, par bateau), et la rigidité qui en découle, a fini de convaincre Rossignol qu'il valait mieux produire en France. «Cela nous permet de produire plus sur commande et moins par prévision. On a moins de risques de pertes», résume Mimmo Salerno.
Stratégie. Selon Bruno Cercley, maintenir une sous-traitance à Taïwan pourrait avoir un intérêt si Rossignol envisageait de se positionner sur le marché asiatique. Ce qui n'est pas le cas : 60% des ventes se font en Europe. Le reste en Amérique du Nord et en Russie. «Le seul marché qui existait en Asie, c'était le Japon et il s'est effondré. La Chine n'est pas encore prête.» Ce positionnement «au plus près des marchés» explique d'ailleurs que Rossignol n'envisage absolument pas de rapatrier l'ensemble de ses productions délocalisées. Pas question notamment de toucher aux usines d'Europe de l'Est. Le marché russe, qui absorbe à lui seul un tiers des skis vendus chaque année dans le monde, est trop précieux pour que Rossignol commette l'imprudence de s'en éloigner. Un seul site a été relocalisé depuis l'Europe de l'Est : une production de fixations Look, rapatriée début 2010 à l'usine de Nevers, dans la Nièvre. Sans cette relocalisation, le site nivernais aurait dû fermer, générant un coût social trop lourd à supporter pour l'entreprise.
Bruno Cercley a une stratégie, et pas d'états d'âmes : «On n'est pas là pour sauver des usines. S'il fallait en fermer, nous en fermerions. Même s'il est vrai que cela nous fait toujours plaisir de faire revenir des emplois en France.» Fin août, le ministre de l'Industrie, Christian Estrosi, a annoncé un plan d'aide aux relocalisations de 200 millions d'euros. Rossignol n'en a pas profité. Son PDG ne croit pas à l'utilité du dispositif. «Cela ne sert à rien de relocaliser pour relocaliser. Il faut que cela soit intéressant stratégiquement pour l'entreprise, sinon ça ne marchera pas.»
Maillon faible. A Sallanches, l'annonce de la relocalisation est un symbole fort. Même si chacun sait que la contrepartie en termes d'emplois est très faible. Depuis quelques années, l'usine Dynastar se pensait condamnée. En 2007, une partie de la production était donc délocalisée à Taïwan. En 2008, lorsque le groupe était au plus mal, la marque apparaissait comme le maillon faible et Quicksilver, le propriétaire, avait annoncé son intention de s'en débarrasser, pour finalement décider de revendre tout Rossignol quelques mois plus tard. Après la reprise par la société Chartreuse & Mont-Blanc (détenue en majorité par un groupe australien), l'annonce d'un plan de relance basé sur la suppression d'un tiers des effectifs n'avait pas vraiment remonté le moral des troupes. Et personne ne croyait à ces annonces de relocalisation. Parce que personne n'en avait jamais vu.
Il aura fallu que d'autres projets d'investissement se concrétisent cette année sur le site de Sallanches pour que les salariés retrouvent un semblant de confiance. Plus encore que les relocalisations, l'installation d'un Race center, centre de préparation ultramoderne de skis professionnels, redonne à l'usine l'image positive d'une industrie de pointe. Mais l'image ne suffit pas. Et les salariés restent sur leurs gardes. Comme Marc Rollès, délégué CDFT : «En très peu de temps, on a vu les productions partir en Asie. Aujourd'hui, on est content de les voir revenir. Mais les emplois supprimés, on ne les a pas retrouvés. Et il faudra voir dans quelles conditions vont être fabriqués ces skis.»
Par Alice Géraud envoyée spéciale à Sallanches (Haute-Savoie)
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