Ben Bernanke, le patron de la Fed, part à la conquête du grand public pour justifier « l'assouplissement quantitatif » de sa politique monétaire.
La Chine va perdre son rang de premier financier du Trésor américain. Lorsque la Fed, la banque centrale américaine, aura acheté 600 milliards de bons du Trésor d'ici à juin 2011, comme elle l'a annoncé la semaine dernière, elle en détiendra en effet quelque 1 700 milliards de dollars dans son propre bilan. Elle devancera alors la Banque populaire de Chine, dont les réserves aussi énormes soient-elles - 2 450 milliards de dollars - ne sont investies qu'à 65 % dans des supports en billets verts, selon les dernières indications de Pékin. Voilà bien le miracle de la politique monétaire dite de « quantitative easing » - assouplissement quantitatif - laquelle consiste à acheter des titres publics en faisant tourner la planche à billets. Washington va s'affranchir, temporairement en tout cas, de l'épargnant chinois!
Cet effet collatéral, Ben Bernanke, le président de la Fed n'en dit pas mot dans la tribune qu'il a publiée le 4 novembre dernier dans le Washington Post. L'article « grand public », tout à fait inhabituel de sa part, constitue pourtant la meilleure introduction au programme de QE 2. Ce nom de code rappelle qu'il y a eu déjà un précédent, le QE 1 lancé au printemps 2009 et achevé en mars 2010. La Fed avait ainsi acheté pour 1 500 milliards de dollars d'actifs, principalement des titres hypothécaires titrisés : le but était d'en débarrasser les banques.
Dans sa tribune, le patron de la Fed justifie sa démarche, explique les mécanismes financiers et économiques qu'il souhaite mettre en branle. Mais pas un mot sur les conséquences internationales et sur le dollar. On ne saurait s'en étonner : le taux de change ne relève pas de la responsabilité de la Fed, mais du gouvernement américain...
Ben Bernanke insiste en revanche sur le « double mandat fixé par le Congrès » à l'institution qu'il dirige : la stabilité des prix et le plein- emploi. Or, sur ces deux fronts, on est loin du compte : « le taux national de chômage (est) proche de 10 % », et la hausse des prix sensiblement « inférieure à 2 % ». Pire, « une très faible inflation peut muter en déflation ». Une vieille obsession. En 2002, alors qu'il venait d'être nommé au poste de gouverneur (la Fed en compte sept), ce professeur de Princeton, réputé pour ses travaux sur la dépression des années 1930, avait prononcé un discours alarmiste : « Déflation : s'assurer que »cela* n'arrivera pas ici. » Il citait Milton Friedman, le Prix Nobel, qui préconisait de jeter par hélicoptère des liasses de billets pour aider les Américains à dépenser.
D'où son surnom d'« Helicopter Ben », tout à fait mérité à en juger par son activisme depuis la faillite de Lehman Brothers. Il n'a pas hésité à ramener à presque zéro le prix des liquidités distribuées aux banques. Et faute de pouvoir rendre les taux d'intérêt à court terme négatifs, la Fed s'est mise à acheter des titres de dettes à plus d'un an, ce qui a fait baisser leurs taux. Cet « assouplissement quantitatif » a fait ses preuves en permettant aux États-Unis d'échapper à la dépression en 2009, estime Bernanke. Il y voit un blanc-seing pour renouveler l'expérience.
Les 600 milliards d'achats de bons du Trésor contribueront à réduire les taux longs et cette onde de choc va se diffuser à toute l'économie : « Des taux d'intérêt plus bas pour les entreprises encourageront l'investissement et des indices boursiers plus élevés gonfleront la richesse des ménages et aideront à accroître leur confiance, ce qui peut aussi favoriser la dépense », écrit Helicopter Ben, qui invoque « un cercle vertueux ».
« Message de la Fed : enrichissez-vous », résume parfaitement Bruno Cavalier, l'économiste d'Oddo Securities. « Enrichissez-vous », lançait aux Français du XIXe siècle Guizot, mais en ajoutant « par le travail et par l'épargne ». Le mécanisme que Bernanke a en tête est d'une tout autre nature, comme le précise le professeur de Harvard Martin Feldstein dans un article du Financial Times : « Quand la Fed achète des obligations, les investisseurs augmentent leur demande d'autres titres, particulièrement les actions, dont les cours montent et accroissent la richesse des ménages et leurs dépenses. » Cet ancien conseiller économique de Ronald Reagan doute en revanche que ce beau mécanisme relance l'économie réelle et le PIB : les ménages américains détiennent 7 000 milliards de dollars en actions. Or la Bourse a déjà remonté de 10 % depuis que la Fed évoque le QE 2 (depuis le 27 août). Cela n'entraînera qu'une hausse « insignifiante de la consommation ». Par ailleurs, Feldstein rappelle que si les PME n'obtiennent pas de crédit aujourd'hui, ce n'est pas en raison des taux d'intérêt, mais du « manque de capital des banques ».
À l'autre bout du spectre politique, le très keynésien Joseph Stiglitz est tout aussi dubitatif. Selon lui, le principal effet en sera d'affaiblir le dollar et de provoquer « des guerres des monnaies ». Au sein même de la Fed, le président de la banque de réserve de Kansas City, Thomas Hoenig, a qualifié le QE 2 de « marché conclu avec le diable ». Il se souvient du Faust de Goethe, où Méphistophélès conseille à l'empereur d'émettre des billets (« au lieu d'or et de perles, un tel papier est si commode »). Ben Bernanke admet lui-même que « les rachats de titres sont un instrument de politique monétaire relativement mal connu ». La Fed se fait apprenti sorcier. Au nom de l'emploi.
Des taux d'intérêt plus bas pour les entreprises encourageront l'investissement et des indices boursiers plus élevés gonfleront la richesse des ménages et aideront à accroître leur confiance, ce qui favorisera la dépense »
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