Hier on m'admirait pour ma force, ma vitalité, ma puissance. Aujourd'hui, je suis écorché pour ma peau, dépecé pour mes os, chassé de mon territoire. Je disparais. " Engagé depuis des années auprès du WWF France (Fonds mondial pour la nature), Yannick Noah a prêté ce mois-ci sa voix et son image afin d'interpeller l'opinion sur la situation du tigre. Une espèce au bord de l'extinction à laquelle un sommet international est consacré, du 21 au 24 novembre, à Saint-Pétersbourg (Russie), durant lequel les chefs d'Etat des treize derniers pays à abriter cet animal tenteront de s'accorder sur un plan global de sauvegarde.
Préparé depuis deux ans à l'initiative de la Banque mondiale, ce sommet est le premier au monde à être consacré à une unique espèce animale. C'est dire son importance symbolique, et la gravité de la situation. Estimée à environ 100 000 individus en 1900, la population de tigres sauvages s'est effondrée de 97 % au cours du XXe siècle.
Ils ne seraient plus que 3 200 dans les treize pays qui les hébergent encore (Bangladesh, Bhoutan, Birmanie, Cambodge, Chine, Inde, Indonésie, Laos, Malaisie, Népal, Russie, Thaïlande et Vietnam). Dans la région du Grand Mékong - un territoire grand comme la France -, les effectifs, de 1 200 en 1998, sont tombés à 350. Pour le plus grand félin du monde, la ratification du protocole d'action présenté à Saint-Pétersbourg constitue l'opération de la dernière chance.
L'objectif ? Doubler sa population d'ici à 2022, prochaine année du Tigre. Facile à dire, très coûteux à faire. Rien que pour les cinq premières années de mise en oeuvre du Global Tiger Recovery Program (GTRP) - le plan de sauvegarde qui sera discuté ces jours-ci -, 350 millions de dollars (255 millions d'euros) seront nécessaires. Assortis d'une solide volonté politique de la part des Etats concernés, et de la mise en oeuvre d'une logistique de choc. Avec deux priorités : protéger l'habitat de l'espèce, et la prémunir du braconnage.
Anéanti par l'exploitation minière, la production de pâte à papier, d'huile de palme et de caoutchouc, l'habitat du tigre représente moins de 7 % de son ancienne aire de répartition. Et encore, ces poches de résistance ne constituent-elles trop souvent que des biotopes fragmentés.
Dans une étude publiée en septembre, la Wildlife Conservation Society de New York a identifié 42 " sites ressources " dans lesquels les tigres peuvent continuer de se reproduire. Dix-huit d'entre eux se trouvent en Inde, 8 sur l'île indonésienne de Sumatra, 6 en Extrême-Orient russe, les autres se répartissant entre la Malaisie, la Thaïlande, le Laos et le Bangladesh. Mais aucun n'a pu être identifié au Cambodge, en Chine, en Corée du Nord ou au Vietnam, pays où les populations de tigres sont déjà si faibles que leur perpétuation en milieu naturel n'est plus envisageable.
Plus grave encore : dans les rares réserves naturelles qui lui restent, le tigre est désormais braconné avec le soutien de puissantes mafias. L'espèce étant inscrite à l'annexe I de la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (Cites), aucun de ses produits dérivés ne peut être utilisé à des fins commerciales. Mais ses os, ses moustaches et son pénis restant très prisés de la médecine traditionnelle asiatique, la chasse illégale va bon train. Et ce d'autant plus que l'espèce se fait plus rare, donc plus précieuse.
Un commerce illicite dont l'étendue a été mise en évidence, en octobre, par l'arrestation de vingt-cinq personnes et la saisie de plus de 50 kg d'os de tigre, à la suite d'une action coordonnée pendant deux mois par Interpol dans six pays de son aire de répartition.
" Le braconnage, stimulé par le marché noir, est la menace majeure qui pèse sur les tigres. Si les gouvernements n'appliquent pas strictement les interdictions existantes et ferment les yeux sur le commerce du tigre, nous pouvons dire adieu à l'une des plus magnifiques espèces au monde ", estime Fred O'Regan, directeur général du Fonds international pour la protection des animaux (IFAW). Très impliquée, à l'instar d'une trentaine d'autres ONG, dans l'élaboration du GTRP, cette association exhorte les gouvernements à intensifier leurs efforts pour briser ce cercle vicieux.
Ainsi que le souligne un rapport commun du WWF et de l'association Traffic publié le 19 novembre, la situation est particulièrement alarmante aux frontières de la Birmanie et de la Thaïlande. Dans cette région largement incontrôlable où règnent les milices locales, le trafic de tout ou partie d'espèces aussi menacées que le tigre, le léopard ou le lion d'Asie est une réalité quotidienne. Depuis la Birmanie, " ces produits sont transportés par route ou par mer jusqu'à la Chine ou la Thaïlande, ou vendus sur place à des Chinois qui franchissent la frontière birmane ", détaille William Schaedla, directeur de Traffic - Asie du Sud.
Dans ce contexte très critique, le sommet n'arrive-t-il pas trop tard ? Edina Ifticene, responsable du programme Mékong au WWF France, préfère rester optimiste. " Pour au moins deux raisons : parce qu'il n'y a encore jamais eu une telle mobilisation autour d'une espèce menacée; et parce que le tigre n'est pas comme l'éléphant ou le panda : une fois son habitat préservé, il se reproduit très bien ", dit-elle, en rappelant que " préserver le tigre, c'est protéger à long terme tout l'environnement et le bien-être des populations locales ".
Après avoir recensé les fonds consentis par les différents bailleurs (banques, agences et ONG occidentales pour l'essentiel), il reviendra aux experts présents à Saint-Pétersbourg de préciser pays par pays les modalités de mise en oeuvre du protocole proposé aux chefs d'Etat. Et à ces derniers, on l'espère, de le signer.
Catherine Vincent
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