Le Figaro, no. 20634 - Le Figaro, vendredi, 3 décembre 2010, p. 14
Au regard des révélations du site, l'auteur, professeur à l'Université baptiste de Hongkong et chercheur associé à l'Asia Centre à Paris, analyse le « jeu trouble » de l'empire du Milieu à l'égard de ce pays scindé en deux.
Plus que jamais la direction du Parti communiste chinois est divisée sur la question de la Corée du Nord et de la nouvelle montée de la tension que ce dernier pays a provoquée dans la péninsule. Et plus que jamais, Pékin semble incapable de s'extraire du dilemme dans lequel il s'est enferré et en mesure de proposer une solution.
Coup sur coup, en novembre, deux événements sont venus tendre à nouveau la situation. D'abord l'annonce par un scientifique américain à sa sortie de Corée du Nord que le site nucléaire de Yongbyon possédait des milliers de centrifugeuses susceptibles de produire de l'uranium suffisamment enrichi pour fabriquer des charges nucléaires. Et quelques jours après, le bombardement par l'armée nord-coréenne de Yeonpyeong, une île située juste au sud de la ligne de limite nord (non reconnue par Pyongyang) et où l'armée sud-coréenne procédait à des manoeuvres militaires.
Or, le gouvernement chinois a une fois de plus renvoyé dos à dos les deux Corées, les appelant au calme et à reprendre les pourparlers à six (Chine, deux Corées, États-Unis, Japon et Russie) sur la question nucléaire nord-coréenne. Comme si Pyongyang et Séoul étaient toutes les deux dans un état d'esprit suffisamment calme et serein pour reprendre une négociation qui, depuis 2002, n'a favorisé aucune dénucléarisation véritable de la Corée du Nord, sans parler de Washington et du Japon, plus solidaires que jamais du président Lee Myung-bak, et désireux de ne pas « récompenser » le chantage exercé par le régime de Kim Jong-il.
Le seul espoir que l'on peut nourrir pour l'avenir provient à la fois de la plus grande liberté de ton qu'affiche un certain nombre d'experts chinois et des fuites organisées par WikiLeaks, une association globale qui milite pour la publication de toute information quelle qu'elle soit.
En effet, un nombre croissant de spécialistes chinois des relations internationales et de la Corée estiment que la diplomatie de leur gouvernement mène à l'impasse. Ils appellent celui-ci à une réévaluation des priorités et des intérêts nationaux de leur pays. Leur logique est que, même si la Corée du Nord nucléaire passe entre les mains de Kim Jong-un - le fils de Kim Jong, aujourd'hui âgé de 27 ans -, elle constituera un danger pour la communauté internationale.
Et plus récemment encore, les fuites, au demeurant totalement irresponsables, de WikiLeaks nous ont par ailleurs appris qu'en réalité Pékin non seulement considère le régime de Pyongyang comme un « enfant gâté », mais accepterait une réunification de la péninsule sous la houlette du gouvernement de Séoul, si toutefois les troupes américaines stationnées en Corée du Sud ne s'aventurent pas au nord du 38e parallèle. Ce dont, soit dit en passant, l'on se doutait fortement. Porte ouverte donc.
Mais WikiLeaks a aussi étayé les craintes qu'un certain nombre d'experts ont accumulées sur diverses formes de coopération : dans le domaine nucléaire (notamment les centrifugeuses) ou encore le transfert de missiles de la Corée du Nord à l'Iran, probablement au vu et au su de la Chine, par où les avions-cargos de ces deux pays transitent. Échanges de bons procédés entre « États voyous », mais aussi contribution périlleuse et déstabilisatrice à la prolifération.
Le gouvernement chinois donne ou veut donner l'impression aux Américains qu'il est mal informé sur ce qui se passe au sud du Yalou. Mais, contrairement à ce que semble attester WikiLeaks, est-ce toujours vrai? Ce que les événements récents ont confirmé, c'est que la Chine continue de jouer un jeu extrêmement trouble dans la péninsule, s'attirant un regain de suspicions de la part des autorités sud-coréennes. Car, en attendant que le régime des trois générations de Kim s'effondre, Pékin s'efforce, dans une sorte de course de vitesse avec Séoul, de transformer la Corée du Nord en protectorat économique. Par exemple, depuis le printemps, la Chine investit dans la rénovation et l'extension du port de Rajin-Songbong ainsi que la construction d'une voie ferrée destinée à désenclaver le nord-est chinois (l'ancienne Mandchourie), et notamment la province du Jilin qui a acquis le droit d'exploiter ce port au cours des dix prochaines années. Tout démontre que, par conséquent, la Chine veut se trouver en position de force par rapport à la Corée du Sud lorsque l'économie socialiste du nord s'effondrera... ou se réformera.
C'est dire si les autorités chinoises, quoique divisées, restent conservatrices sur le dossier nord-coréen. Cet immobilisme est sans doute la traduction de la domination de la coalition militaro-idélogique au sein du PC chinois, une coalition surtout concentrée sur l'affirmation de la puissance chinoise, notamment dans la région Asie-Pacifique, et ceci au détriment de la recherche d'une meilleure sécurité collective.
Quand les esprits se seront calmés, les pourparlers à six reprendront sans doute. Mais pas à n'importe quelles conditions. Et Pékin le sait, qui devra exercer autrement plus de pressions sur Pyongyang pour que certaines de ces conditions du moins, notamment l'arrêt des actions provocatrices, soient remplies.
Auteur de : « La Politique internationale de la Chine. Entre intégration et volonté de puissance », Presses de Sciences Po (2010).
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