Le nom d'Edward Yang, réalisateur taïwanais, est associé à une funeste ironie de l'histoire du cinéma. Son premier succès international, Yi Yi, sublime mélo récompensé par le Prix de la mise en scène au Festival de Cannes en 2000, fut aussi son dernier film avant sa mort, en 2007, peu avant ses 60 ans. Reste une oeuvre quantitativement modeste - sept longs-métrages à voir ou revoir à la Cinémathèque française - qui a joué un rôle déterminant dans la naissance du cinéma d'auteur taïwanais, et, plus largement, dans ce mouvement de fond qui a mené depuis vingt ans le cinéma asiatique sur le devant de la scène internationale.
La biographie ballottée d'Edward Yang aurait pourtant pu le fixer vers d'autres horizons géographiques et professionnels. Naissance en 1947 à Shanghaï, en Chine continentale. Exil à Taïwan, où sa famille s'installe un an plus tard pour fuir le régime communiste. Jeunesse passée sous le régime dictatorial du Kouomintang de Tchang Kaï-chek. Fuite vers les Etats-Unis, où il devient ingénieur informaticien à Seattle (Etat de Washington). C'est là qu'il fait sa révolution : en 1980, à 33 ans, l'exilé retourne s'installer à Taïwan pour devenir cinéaste.
Deux ans plus tard, Yang monte dans la locomotive du nouveau cinéma taïwanais. Il participe au film collectif In our Time qui en est le manifeste. Suit, en 1983, son premier long-métrage, Ce jour-là sur la plage, variation moderniste sur le thème du couple. En 1989, il crée la société de production Yang and His Gang, grâce à laquelle il réalisera ses deux chefs-d'oeuvre : A Brighter Summer Day (1991) et Yi Yi.
Le premier est une bouleversante chronique de la jeunesse du réalisateur, dans les années 1960. Dans le Formose de l'époque, l'Amérique, sa liberté et son insolence (titre du film emprunté à Elvis Presley), est l'horizon d'une jeunesse qui se révolte contre un régime cloîtré dans l'insularité et l'autoritarisme. Le second est un film familial aux résonances universelles, une oeuvre-somme qui suscite un sentiment de plénitude vitale rarement atteint au cinéma, telle une version moderne et atomisée du Fanny et Alexandre d'Ingmar Bergman.
Le lien problématique de l'individu au groupe, la liaison désaccordée entre tradition et modernité, les récits sophistiqués et labyrinthiques où évolue, dans l'espace comme dans le temps, un réseau de personnages, l'ambition de faire jouer ensemble les ressorts sociaux, historiques et sentimentaux de l'humanité, la délicate sensibilité esthétique qu'il met au service de ce projet, telle est la manière de Yang.
Avec Virginie Ledoyen
Ces deux films restent les seuls distribués en France. Il faudrait saisir l'opportunité de découvrir les autres, à commencer par Mahjong (1996), mélange déroutant de film noir et de burlesque où une belle étrangère perdue à Taipeh est interprétée par la Française Virginie Ledoyen. Il faudrait ne pas manquer non plus les dix minutes existantes de The Wind, film d'animation entrepris avec l'acteur Jackie Chan, ultime projet interrompu par la mort.
Le samedi 11 décembre à 14 h 30, une table ronde autour de son oeuvre réunira la veuve du cinéaste, la concertiste Kaili Peng, le cinéaste Olivier Assayas, qui a oeuvré en pionnier aux Cahiers du cinéma à la découverte du nouveau cinéma chinois, ainsi que le critique Jean-Michel Frodon. Ce dernier est le maître d'oeuvre d'un bel ouvrage consacré au cinéaste (Edward Yang, Ed. de l'Eclat, 222 p., 22 €), qui comporte, en plus d'une riche iconographie, des textes et dessins inédits d'Edward Yang, des hommages de ses pairs (Martin Scorsese, Jia Zhang-ke, Hou Hsiao-hsien), des études approfondies.
Cet événement permettra peut-être de comprendre pourquoi Yang n'aura jamais été reconnu à la hauteur de son talent. L'ombre portée de son compatriote Hou Hsiao-hsien, considéré comme la figure de proue du cinéma taïwanais, puis le reflux de cette " nouvelle vague " relayée par l'émergence d'une prodigieuse génération (Jia Zhang-ke, Wang Bing, etc.) en Chine continentale ont sans doute joué leur rôle. On pourrait ajouter ceci : ce cinéaste, plus qu'aucun autre peut-être, en Asie, rêva d'une synthèse entre les mondes, fut lui-même ce funambule en équilibre entre Orient et Occident. Ce tour de force était l'aveu d'une fragilité.
Jacques Mandelbaum
Cinémathèque française,
51 rue de -Bercy, Paris 12e. Tél. : 01-71-19-33-33.
Du 8 au 20 décembre. Cinematheque.fr
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