vendredi 17 décembre 2010

Des handicapés esclavagisés en Chine - Philippe Grangereau

Libération, no. 9206 - Monde, vendredi, 17 décembre 2010, p. 6

Un groupe de handicapés mentaux travaillant sans être payés depuis trois ans a été découvert cette semaine dans une usine de phosphate à Toksun, dans l'ouest de la Chine. Les hommes étaient nourris à la même auge que les chiens du patron, qui leur infligeait des coups pour stimuler leur ardeur à la tâche. Au moins deux d'entre eux ont été rossés pour avoir tenté de s'évader.

Cette affaire d'esclavage moderne, qui fait grand bruit en Chine, a été révélée par un quotidien du Xinjiang. «On ne nous donne de la viande que lorsqu'on est trop faible pour travailler», raconte au journal l'un des captifs. Les forçats avaient été «vendus» l'équivalent de 1 000 euros, plus un émolument mensuel de 30 euros, par une ONG du Sichuan dirigée par un éleveur de porcs qui professait d'aider les handicapés mentaux en leur procurant du travail. L'officine, qui fonctionnait comme une agence d'emploi à bas coût, a vendu à nombre d'entreprises et chantiers plus de 70 personnes ainsi condamnées à trimer. Son patron a été interpellé, ainsi que celui de l'usine.

Mais un déluge de commentaires sur les forums de discussion chinois a accueilli ces arrestations avec scepticisme : «Ces sinistres patrons ont été appréhendés, mais qu'adviendra-t-il des gros et gras officiels qui les ont aidés ?» Les autorités chinoises, qui d'habitude censurent ce type de propos incendiaires, semblent pour l'heure laisser le public étancher sa colère.

Beaucoup de médias soulignent l'incapacité ou le manque de volonté de la police de sévir dans ce genre d'affaires, pourtant récurrentes. En mai, la police a libéré 34 personnes forcées de travailler dans des fours à briques de la province du Hebei. Elles étaient régulièrement battues et torturées à l'électricité. En 2007, la découverte de centaines de handicapés et enfants retenus prisonniers dans plusieurs fours à briques de la province du Shanxi avait choqué tout le pays. D'après la presse locale, près d'un millier d'enfants-esclaves kidnappés y travaillaient. Le gouvernement chinois avait alors promis de sévir. Geoff Crothall, du China Labour Bulletin, estime que dans la plupart des cas «les entreprises qui ont recours à ce type d'esclavage sont en cheville avec les officiels locaux, ou alors ces officiels dirigent eux-mêmes les opérations».

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