vendredi 17 décembre 2010

ENQUÊTE - Quand les marins se noient dans la drogue

Marianne, no. 713-714 - France, samedi, 18 décembre 2010, p. 40

Par notre envoyée spéciale au Guilvinec, Stéphanie Marteau

Le Finistère est devenu une plaque tournante du trafic de stupéfiants. Dans les ports bretons, les jeunes marins pêcheurs toxicomanes sont nombreux. Pour ne pas compromettre un secteur déjà mal en point, les autorités ferment les yeux... Enquête.

Le 31 juillet dernier, près de Cherbourg (Manche), Sébastien Doucet, un marin de 27 ans, meurt d'une overdose de méthadone, un produit de substitution aux drogues dures. Ce même été, à Fouesnant (Finistère), quatre apprentis pêcheurs, consommateurs de cannabis et d'héroïne, sont interpellés, alors qu'" ils allaient en mer défoncés ", raconte un magistrat. Le reste de l'équipage n'aurait " rien remarqué "... En 2009, un matelot de 27 ans, héroïnomane, était tombé à l'eau en mer d'Irlande. Son collègue, sous méthadone, avait alors plongé pour le sauver : on n'a jamais retrouvé leurs corps. En mai 2008, à bord du Neway, un chalutier de Saint-Brieuc, un marin avait attaqué deux de ses collègues à la hache. Les gendarmes, intervenant en hélicoptère, l'avaient finalement maîtrisé : l'homme s'attaquait au bateau avec sa hache pour tenter de le couler !

Junkies embarqués

Des abordages entre bateaux, des fautes de navigation fatales, des hallucinations en pleine mer, des gars shootés endormis pendant leur quart... " J'en connais tellement, des histoires comme celles-là... " reconnaît Erwan, boucle d'oreille et dents ravagées. A 31 ans, le petit blond assommé par les cachets, marin pêcheur depuis l'adolescence, a passé la moitié de sa vie noyé dans l'héroïne. Il en a sniffé pour la première fois dans une soirée, mais c'est à bord d'un navire qu'il a découvert " la brown ". " J'avais 16 ans, c'était ma première marée. J'ai vu un mec se faire un shoot. Ce gars-là travaille toujours dans la pêche hauturière ", confie-t-il.

Et " ce gars-là " n'est pas le seul junkie actuellement embarqué en mer d'Irlande. Comme lui, la nouvelle génération de " mar pêch " engagés pour les campagnes au large d'une quinzaine jours se défonce de plus en plus souvent aux drogues dures. " Sur les 70 toxicomanes dont je m'occupe, 30 % sont marins pêcheurs ", estime le Dr Jean-Jérôme Lecoq, médecin installé à Lesconil (Finistère) depuis trente ans.

Pourtant, le sujet reste tabou, dans un milieu où l'alcoolisme est par ailleurs depuis longtemps répandu. Au Guilvinec, premier port de pêche artisanale français, réputé pour la qualité de ses produits frais, les responsables du Service de santé des gens de mer (SSGM), la médecine du travail des marins, refusent toute discussion relative aux stupéfiants. Les assistantes sociales du comité local des pêches font dire qu'elles sont en déplacement. Et les responsables des organisations professionnelles déploient des kilomètres de langue de bois... Pourtant, la vingtaine de médecins des gens de mer, qui assurent les visites d'aptitude et de reprise du travail, connaissent bien le problème. En 2007, ils avaient fait réaliser une étude épidémiologique sur l'usage des stupéfiants, auprès de 1 928 marins dans 19 ports français. " Deux cent cinquante marins pêcheurs ont avoué avoir expérimenté des drogues dures, comme l'héroïne ou l'ecstasy. C'est un peu plus que la moyenne nationale. Mais c'est surtout le cannabis qui est préoccupant : 14 % en avaient fumé dans les dix jours précédant la visite médicale ", note Emmanuel Fort, de l'université Claude-Bernard à Lyon, l'un des responsables de l'étude.

Pourtant, les médecins rechignent toujours à pratiquer systématiquement des tests rapides de détection dans les urines lors des visites médicales. " Les Affaires maritimes ferment les yeux, il y a besoin de main-d'oeuvre ", rigole Michael, héroïnomane et marin pendant dix ans. Il a toujours obtenu ses certificats d'aptitude à naviguer de la part des " gens de mer ". Au long des marées, il en a vu, des accidents " évités de justesse " : " Des mécanos défoncés qui oubliaient d'arrêter le treuil du chalut, faisant valdinguer la chaîne dans les airs ! Moi, une fois où j'étais défoncé, je me suis endormi pendant une heure. Quand on m'a réveillé, le chalutier était presque à la verticale, entraîné vers le fond par le chalut descendu dans une fosse ! " lâche-t-il, assis sur la jetée dans la nuit et les embruns.

" Certains accidents, qu'on met sur le compte de la fatigue, sont en réalité dus aux stupéfiants, concède Bérangère Prud'hommes, procureur adjointe de la République à Quimper. C'est dif- ficile de dire combien. Parfois, on ne repêche jamais les cadavres, ou on le fait trop tard pour pouvoir pratiquer des analyses. " Un laxisme qui tranche avec les multiples contrôles en vigueur dans l'aviation ou le transport routier...

" Milieu sensible "

L'inaction des autorités policières et judiciaires s'explique par des préoccupations très politiques : " Les marins pêcheurs peuvent avoir des réactions violentes, comme des manifs, des saccages... C'est un milieu très sensible ", reconnaît-on au ministère de l'Agri- culture. " On sait bien que des gamins qu'on a interpellés défoncés le week-end sont sur le bateau le lundi, poursuit un gendarme. Mais on ne contrôle pas les navires avant l'appareillage. Il suffi- rait qu'un seul membre de l'équipage soit emmené en garde à vue pour que le bateau ne parte pas, ce qui foutrait en l'air une marée. On prend en compte le tissu économique... " La gendarmerie de Brest peut, certes, opérer des contrôles à la demande des patrons pêcheurs. " Mais aucun armement n'a ressenti le besoin de faire procéder à des opérations coup de poing sur ses bateaux... " constate le lieutenant- colonel Meudal.

" Pour les patrons pêcheurs, on est de la vermine, constate Erwan, assommé par les médicaments depuis qu'il essaie de décrocher. Ils vont m'accuser de plomber le métier, mais je sais qu'en ce moment même, sur certains bateaux, il y a des mecs de quart défoncés. " Lui-même a navigué pendant quinze ans alors qu'il s'injectait quotidiennement au moins 1 g d'héroïne dans les veines. " Je portais des T-shirts à manches longues et je me piquais dans ma couchette. Quand je chauffais la came, ça sentait, mais on ne m'a jamais rien dit. L'héroïne n'empêche pas de bosser. " Erwan a finalement été renvoyé, il y a deux ans, à la suite d'une crise de manque survenue au large des côtes anglaises. " Je croyais que j'avais emmené assez de drogue pour les quinze jours, mais au bout du neuvième j'étais à sec. Je me vidais de partout, j'étais fou, je tapais dans les murs. J'ai demandé au patron de rentrer, il a fallu insister, il ne comprenait pas ce qui se passait. On m'a emmené à l'hôpital, où ma copine m'a rejoint et m'a fait un rail sur la table. C'est tout de suite allé mieux ", se souvient le matelot. Dans le Télégramme de Brest, en octobre dernier, un autre marin toxicomane racontait les tensions dans les armements, le plus souvent étouffées : " J'avais un pote patron, tout son équipage était accro. Il a dû arrêter une campagne de quinze jours pour revenir. Pas le choix. Il y a eu des débuts de mutinerie. "

Le phénomène frappe particulièrement le pays bigouden, au sud-ouest de Quimper, qui est devenu une plaque tournante du trafic de stupéfiants. Une brigade spécialisée a même été créée l'année dernière au commissariat de police de Quimper. " Les réseaux d'approvisionnement de la drogue suivent les lignes de TGV, explique Bérangère Prud'hommes. Les dealers de Seine-Saint-Denis ont mis en place des têtes de pont à Quimper. Les trafiquants savent que les festivals techno, nombreux en Bretagne, drainent des clients. Les jeunes marins, qui rentrent de quinze jours en mer avec 2 000 € dans les poches et une grosse envie de faire la fête, sont des cibles de choix. " Grâce à leurs revenus, les jeunes marins pêcheurs ne sont pas des marginaux, obligés de dealer ou de voler pour financer leur consommation. Du moins dans les premiers temps. " Même s'ils travaillent, les pêcheurs toxicomanes se retrouvent vite entre eux, sur des bateaux pourris et moins performants, où ils gagnent moins d'argent, tempère un armateur. A 80 € le gramme d'héroïne, ils sont vite dans une situation financière catastrophique. " " Quand ils viennent me voir pour décrocher, ils sont criblés de dettes. Je leur fais des arrêts de travail pour syndrome dépressif ", confirme un médecin addictologue à Lorient.

Se taire, un réflexe de survie

Le soir, en rentrant de la criée, les pêcheurs se retrouvent à La Trinquette, le bar ouvrier du Guilvinec. Pour eux, l'apparition des stupéfiants sur les bateaux coïncide avec la dégradation de l'image de la profession. Tous observent que, depuis une quinzaine d'années, les enfants de pêcheurs n'assurent plus la relève et que ce sont des urbains paumés, des marginaux, des ex-taulards qui viennent " faire le métier ". " Ces gens-là représentent désormaisun cinquième des pêcheurs de Cornouailles. En passant le certificat d'initiation nautique, on peut devenir matelot en six semaines ", admet Hervé Thomas, directeur des Affaires maritimes du Finistère. Selon lui, la pêche, dans ce département, n'est plus un vecteur de promotion sociale, permettant à des familles ouvrières de se constituer un patrimoine. " L'école de pêche est devenue l'école de la deuxième chance, voire de la dernière ", lâche un haut fonctionnaire.

Les marins toxicos, ces " gueules cassées " de la mer, sont devenus le symptôme de la crise qui mine la filière. Depuis le milieu des années 90, le pêcheur bigouden est frappé de plein fouet par la mondialisation et la France importe désormais 80 % de sa consommation de produits de la mer. Le mutisme gêné des autorités professionnelles de la pêche sur l'usage de stupéfiants à bord apparaît alors comme un réflexe de survie de la filière. Tous craignent qu'en l'évoquant publiquement, on aggrave les difficultés.

" Sous la pression de Bruxelles, la moitié de la flotte bretonne a été détruite en vingt ans, estime René-Pierre Chever, le président du comité des pêches du Guilvinec. Il n'y a plus d'aide à l'achat des bateaux neufs depuis 2004. " Du coup, la flotte vieillit, atteignant 25 ans de moyenne d'âge. " Nos bateaux sont vieux, bruyants, on y vit dans la promiscuité et des conditions d'hygiène dures ", admet un armateur qui reconnaît du bout des lèvres que certains armements vétustes sont, parfois, gangrenés par la drogue.

Tout tremblant sur la jetée glacée, Michael vient de se piquer. Il sourit : " Les bateaux sont des huis clos... " Demain, à 4 h 30, il reprendra la mer.

© 2010 Marianne. Tous droits réservés.

1 commentaires:

Anonyme a dit…

l'etat Français ets parfaitement au courant quil y a des millers de toxicomanes a l'heroine et a la cocaine ett ce depuis des decennis que font il pour les soigner presque rien 'rien rien si il distribuerr la ou les drogues sous contrôle medicale il ny a plus de dealer en France je croi que ce gouvernement veut que ca reste comme ca car ca fait marcher la pseudo'justice les avocats quand un dealer ce faiy serrer il prend un avocat comme il on de l'argents il prenne le plus cher ca fait marcher les policiers de la brigade des stup pui les douanier saisice tout ce qquil y a chr le dealer donc resumon police' justice avocats ' douane tout ca pa fait marcher cette societer donc pourquoi founir gratuitement de la drogue au malad de la drgue il faut quil conyinues a la payer cher le dealer du coin ..........................