mercredi 15 décembre 2010

OPINION - La Chine et l'exemple indien - Pierre Rousselin

Le Figaro, no. 20644 - Le Figaro, mercredi, 15 décembre 2010, p. 19

Avec la visite en Inde du premier ministre chinois, Wen Jiabao, la première en cinq ans, c'est deux modèles d'émergence pacifique qui se trouvent face à face.

À eux seuls, les deux géants comptent déjà pour plus des deux tiers de la population de la planète. Leur montée en puissance est le fait marquant de notre temps. L'évolution est graduelle, irréversible. Elle bouleverse l'équilibre mondial mais s'opère jusqu'à présent sans heurts, malgré des tensions croissantes.

Pékin s'inquiète de l'alliance qui se noue entre les États-Unis et l'Inde pour contrebalancer sa propre percée sur la scène mondiale.

Mais la menace est surtout perçue du côté indien. Entre les deux pays, le différend frontalier existe toujours. Comme beaucoup d'autres pays d'Asie, New Delhi redoute l'activisme croissant de la marine chinoise loin de ses côtes et l'usage qui pourrait être fait du « collier de perles », ce chapelet de ports que la Chine construit jusque dans l'océan Indien, à Gwadar, au Pakistan, à Hambantota, au Sri Lanka, ou bien encore à Chittagong, au Bangladesh.

Le moment était donc venu pour Pékin d'user auprès de son « partenaire » émergent de son atout maître, la puissance de son économie et l'immensité de son marché.

Wen Jiabao arrive en Inde à la tête d'une impressionnante délégation de plusieurs centaines d'hommes d'affaires, prêts à remettre les relations bilatérales sur un terrain plus sûr : celui du commerce. On parle de l'entrée des banques chinoises sur le marché indien.

Le reste du monde observe avec curiosité cette interpénétration et la compétition croissante entre deux modèles de développement très différents.

Longtemps fascinés par les résultats spectaculaires de la croissance chinoise, les Occidentaux semblent redécouvrir l'Inde et le potentiel de sa démocratie, pas toujours d'une parfaite efficacité, mais plus conforme à leurs valeurs.

À Pékin et à Shanghaï, la réussite de l'économie indienne est suivie avec attention. L'émergence pacifique de l'autre géant est considérée comme nécessaire à celle de la Chine et au rééquilibrage harmonieux du système international. Il sera plus facile aux Chinois de tirer les leçons de la réussite de la plus grande démocratie au monde que d'accepter de transposer le modèle occidental.


Inde-Chine : le face-à-face des géants d'Asie
400 entrepreneurs chinois accompagnent Wen Jiabao en visite d'État à New Delhi.

Marie-France Calle Correspondante à New Delhi

« Pragmatisme », tel est le maître mot des relations entre l'Inde et la Chine. C'est dans cet esprit que New Delhi accueille aujourd'hui le premier ministre chinois, Wen Jiabao, pour une visite d'État de deux jours. À la veille de son arrivée, les deux géants asiatiques semblaient déterminés à mettre entre parenthèses leurs contentieux politiques afin de renforcer leurs liens commerciaux. Alors que la crise continue de secouer les États-Unis et l'Europe, l'Inde et la Chine font figure de locomotives économiques de la planète. Et elles représentent à elles deux près d'un tiers de la population mondiale.

« Cette visite est très importante. La Chine est le plus grand partenaire commercial de l'Inde », relève Vishnu Prakash, le porte-parole du ministère indien des Affaires étrangères. Wen Jiabao est accompagné de 400 chefs d'entreprise, la plus forte délégation de businessmen chinois qui se soit jamais déplacée à l'étranger. Elle ne repartira pas les mains vides. Des accords d'un montant global de 20 milliards de dollars devraient être signés avec des entreprises indiennes dans des secteurs aussi divers que la production énergétique et la pharmacie. Quant au commerce bilatéral, il a explosé en cinq ans. De moins de 20 milliards de dollars en 2005, il s'établit actuellement à 60 milliards de dollars. « On peut s'attendre à une annonce visant à doubler ce chiffre à 120 milliards à l'horizon 2012 », affirme Srikanth Kondapalli, sinologue à l'université Jawaharlal Nehru de Delhi.

Traité de libre-échange

Le ton avait été donné dès lundi. À deux jours de la visite de Wen, la Fédération indienne des chambres de commerce et d'industrie (Ficci) avait organisé un séminaire sur le potentiel économique Inde-Chine dans le « nouvel ordre mondial ». Invités d'honneur : Zhang Yan, l'ambassadeur de Chine en Inde, et Nirupama Rao, la secrétaire aux Affaires étrangères de New Delhi. Le diplomate chinois a lancé une véritable bombe en suggérant d'entamer des négociations en vue d'un traité de libre-échange entre les deux pays. Pékin ne prend pas beaucoup de risques : Delhi a enregistré en 2007-2008 un déficit commercial de 16 milliards de dollars face à la Chine; il n'était que de 1 milliard en 2001-2002... Les Indiens cherchent à avoir davantage accès au marché chinois.

Les deux pays semblent déterminés à ne pas laisser des querelles vieilles de cinquante ans mettre en péril la vigueur de leurs liens économiques. Pourtant, les relations diplomatiques sino-indiennes se sont considérablement détériorées depuis la dernière visite de Wen Jiabao en Inde au printemps 2005. Le problème des frontières n'a toujours pas été réglé et la Chine continue de réclamer 90 000 km2 de l'Arunachal Pradesh, un État indien situé au nord-est du pays.

Pékin a aussi abandonné sa traditionnelle neutralité sur le conflit indo-pakistanais à propos du Cachemire, défendant ouvertement Islamabad dans ses revendications. Enfin, la rivalité Inde-Chine s'est déplacée dans l'océan Indien : du Bangladesh à la Birmanie, en passant par le Sri Lanka et le Pakistan, Pékin construit des bases navales, et l'Inde se sent encerclée par ce « collier de perles » chinois, comme l'appellent les analystes. Depuis 2005, l'Inde s'est considérablement rapprochée des États-Unis. En 2008, Delhi et Washington ont conclu un pacte sur le nucléaire civil qui n'a pas manqué d'irriter Pékin. Ce n'est pas un hasard si la Chine vient d'offrir au Pakistan de construire deux réacteurs nucléaires civils supplémentaires (elle lui en a déjà fourni deux). Wen Jiabao se rendra d'ailleurs directement de Delhi à Islamabad vendredi matin.

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