Si les Birmans peuvent avoir, à juste titre, l'impression que leur situation ne s'est pas améliorée ces dernières années, leur sort n'en a pas moins été un sujet de préoccupation pour la diplomatie américaine.
Selon les câbles du département d'Etat et de ses ambassades en Asie, obtenus par WikiLeaks et consultés par Le Monde, la Chine, acteur essentiel sur ce sujet, se présente alternativement aux Américains comme exaspérée par des dictateurs intraitables ou comme favorable au statu quo, en faisant valoir les risques que présenterait pour elle l'instabilité chez ce voisin difficile.
En juin 2006, le sous-secrétaire d'Etat chargé de l'Asie-Pacifique, Chris Hill, déjeune à Pékin avec son homologue chinois, Wu Dawei, qui lui confie sa frustration à l'égard du régime birman, " où une seule personne prend toutes les décisions importantes ".
Le Chinois raconte qu'au cours d'une visite officielle en Birmanie son interlocuteur birman lui a lu pendant douze heures la même page d'éléments de langage, et que la junte n'avait même pas jugé utile d'informer Pékin du déplacement de la capitale de Rangoun vers Naypyidaw. La Chine, résume Wu Dawei, soutient la Birmanie non pas parce qu'elle aime son régime, mais parce que la situation volatile, en particulier celle des minorités ethniques près de leur frontière commune, lui fait craindre un afflux de réfugiés.
En 2007, la Chine oppose son veto à une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU sur la Birmanie, mais les Chinois expliquent aux Américains qu'ils ne veulent pas d'un affrontement avec eux, et commencent à leur demander de travailler directement avec le chef de la junte, le généralissime Than Shwe. " L'objectif principal de la Chine est le maintien de la stabilité, dit le vice-ministre chinois des affaires étrangères, Cui Tiankei, à l'ambassade à Pékin. Les Birmans sont réputés pour leur patience, donc nous devons avoir une approche à long terme. La gouvernance en Birmanie est peut-être mauvaise, mais pas de gouvernance du tout serait encore pire. "
Les Chinois ne sont pas les seuls dans l'embarras : les pays de l'Asean, l'Association des pays de l'Asie du Sud-Est, se révèlent incapables de gérer les conséquences de la répression sanglante de 2007. Le fondateur de Singapour, Lee Kuan Yew, confie au nouveau sous-secrétaire d'Etat pour l'Asie, Thomas Christensen, son mépris pour ces généraux " épais et stupides " et leur " mauvaise gestion " des ressources naturelles de la Birmanie. Traiter avec eux, c'est comme " parler à des morts ", dit-il.
Le 14 décembre 2007, Thomas Christensen a des entretiens à Pékin. Il demande aux Chinois de faire pression sur la junte birmane pour une ouverture politique, fait valoir que le statu quo est une menace pour la stabilité. Les Chinois ne se montrent guère réceptifs. Le ministre adjoint des affaires étrangères, He Yafei, souligne que " l'histoire de la Birmanie est longue et compliquée ", que la communauté internationale doit faire preuve de " patience ". Il ne faut pas que le régime " se sente le dos au mur ".
Après le cyclone Nargis, en 2008, la junte semble comprendre le bénéfice qu'elle peut tirer d'une coopération internationale et, au fil des mois, fait savoir aux Américains qu'elle est prête à dialoguer.
Dans une analyse transmise à Washington en avril 2009, le chargé d'affaires américain à Rangoun, Larry Dinger, se montre sans illusions sur ces généraux despotes, " xénophobes " (ce qui les rend imperméables aux pressions chinoises), " paranoïaques à l'égard des Etats-Unis " (ils ont cru à une invasion quand un porte-hélicoptères chargé d'aide humanitaire s'est approché des côtes birmanes après le cyclone), obsédés par " l'unité et la stabilité de l'Etat ", " ignorants des réalités ", car mal informés par un entourage qui ne leur délivre que les bonnes nouvelles.
Toutefois, il se peut qu'ils cherchent une " stratégie de sortie ". Le chef de la junte, Than Shwe, " aurait mentionné au président indonésien Yudhoyono sa volonté d'éviter de comparaître devant un tribunal international ". Et les Américains relèvent, chez certains responsables militaires birmans, une réticence croissante à une dépendance excessive à l'égard de la Chine.
Pour encourager le dialogue, le chargé d'affaires suggère à Washington d'accepter le nom officiel de Myanmar au lieu de Birmanie, " vestige de l'ère coloniale ", d'élever les relations diplomatiques au niveau d'ambassadeur et, surtout, d'augmenter l'aide humanitaire, dramatiquement nécessaire. " Une telle aide, souligne-t-il, aurait un effet subversif en permettant de construire des structures de société civile et en montrant à la population que le monde extérieur lui vient en aide, pas le régime. "
En août 2009, la visite du sénateur démocrate Jim Webb offre aux généraux birmans la possibilité d'un premier contact direct avec un représentant des Etats-Unis. Au cours de leur entretien, le généralissime Than Shwe s'abstient de se lancer dans une diatribe contre Aung San Suu Kyi lorsque le sénateur soulève son cas. Le sénateur aura d'ailleurs l'autorisation de la rencontrer.
En octobre, à Pékin, les Etats-Unis, qui ont réexaminé leur politique birmane, soumettent aux Chinois leurs préoccupations, à la fois sur le blocage politique birman et sur les risques de prolifération nucléaire. De nouveau, l'analyse chinoise diffère de la leur : une responsable de la diplomatie chinoise, Yang Yanyi, fait valoir les " pas positifs " accomplis par le régime birman, qui " fait de son mieux ".
Certes, reconnaît la Chinoise, " le peuple birman reste mécontent de l'état des choses ", mais " le régime ne peut pas être remplacé ". Elle conseille aux Etats-Unis d'engager un dialogue positif avec la junte, " sur une base d'égalité ", en évitant de commencer par les questions difficiles. Le généralissime Than Shwe, affirme-t-elle, est quelqu'un " d'accès facile ", mais qui doute des intentions américaines. Et la Chine, avertit Mme Yang, " ne laissera pas la Birmanie tomber dans le chaos ".
Sylvie Kauffmann
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