mardi 18 janvier 2011

ANALYSE - La bulle chinoise pourrait continuer de gonfler en 2011, sauf accident


Le Monde - Economie, mardi, 18 janvier 2011, p. MDE5

La bulle chinoise va-t-elle éclater en 2011 ? Peu d'économistes mettent en doute le fait que l'économie du pays est dans une zone de haute tension. Ainsi, le magazine américain The International Economy, qui sort tous les trois mois à Washington, consacrait son numéro de l'automne 2010 aux prévisions de trente experts sur les effets d'un éclatement de cette bulle dans les années qui viennent. Le scénario le plus partagé est celui d'une rupture de la bulle immobilière et productive, et d'une accumulation des mauvaises créances.

Le mégaplan de relance initié fin 2008 (400 milliards d'euros en deux ans), alimenté en grande partie par le crédit bancaire, a conduit à une multiplication des projets d'infrastructures, financés par des plates-formes locales associant collectivités et investisseurs. Or, ces crédits bancaires sont souvent garantis par des terres acquises à bas prix par les gouvernements locaux mais revalorisées par de vastes projets immobiliers développés avec des promoteurs. La plupart du temps, ces ensembles résidentiels sont rapidement vendus à des spéculateurs, qui profitent de l'abondance de capitaux disponibles (banques, entreprises, tontines, etc.).

Résultat : un boom de la construction qui dépasse tout ce que le monde a connu, et une multiplication de « villes fantômes », où les appartements vacants se comptent par milliers. Malgré un taux d'urbanisation de 1 % à 1,5 % par an - soit environ 15 millions de personnes -, l'offre est en décalage avec la demande : il n'y a pas assez de logements bon marché.

Que la spirale spéculative s'inverse à mesure que les joueurs de ce casino géant réclament leur mise, et c'est la déroute : certaines plates-formes locales, par exemple, sont surendettées car les projets d'infrastructures qu'elles ont mis en oeuvre ont une faible rentabilité. Une vaste enquête a été lancée sur l'état de leurs bilans, mais la date limite, initialement fixée à fin octobre 2010, a été repoussée au 31 décembre. Ses résultats ne sont pas encore connus. Mais tout porte à croire que la fuite en avant est toujours à l'ordre du jour : l'encours de prêts a de nouveau explosé dans les premières semaines de janvier 2011, après une forte diminution en décembre, pour respecter les quotas annuels.

Pour les économistes chinois, le caractère dirigiste de l'économie peut encore la sauver d'un atterrissage brutal. « La Chine est différente de l'Europe ou des Etats-Unis. La banque et la finance en général sont entièrement aux mains du gouvernement. Il est donc bien plus facile pour lui d'éviter les dépressions cycliques en imprimant plus d'argent et en épongeant des créances. Tout le monde est bénéficiaire à ce jeu, surtout les gouvernements locaux », explique l'économiste Zheng Fengtian, de l'université du Peuple à Pékin. Il estime donc à 30 % la probabilité que la bulle éclate, et à 20 % celle d'un défaut de paiement systémique des collectivités locales. Le gouvernement, poursuit-il, fera tout pour maintenir la croissance économique afin de sauvegarder l'emploi.

L'inflation, qui a atteint 5,1 % en novembre 2010, est un autre risque de déstabilisation. La colère sociale monte, et les salaires sont à la hausse. Certes, le gouvernement en a fait sa priorité numéro un fin 2010. Les prévisions pour 2011 sont, à ce stade, peu alarmistes : le Development Research Center, le think tank officiel du Conseil des affaires d'Etat, prévoit un taux d'inflation moyen de 4,2 % sur 2011, pour une croissance de 9 %.

Selon le bulletin de janvier des experts économiques de l'ambassade de France à Pékin, il pourrait cependant être difficile d'enrayer la surchauffe, dont l'inflation est le symptôme, par les mesures traditionnelles : le gouvernement chinois pourrait être ainsi forcé d'accélérer les mesures en faveur d'un rééquilibrage du modèle économique chinois.

Brice Pedroletti

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