mardi 18 janvier 2011

ANALYSE - 2011 Les incertitudes d'un monde en convalescence - Adrien de Tricornot


Le Monde - Economie, mardi, 18 janvier 2011, p. MDE1

L'écart entre les pays émergents et les pays avancés se réduit. L'ampleur de la dette n'a pas fini de faire des ravages dans les économies occidentales La crise a redistribué les facteurs de risque.

« Le Monde Economie » dresse l'état des risques économiques. La croissance des émergents ne les met pas à l'abri de crises financières et sociales

L'année 2011 se présente sous de délicats auspices. La reprise reste incertaine et molle dans les pays développés, et soumise à de forts risques. Les Etats-Unis poursuivent une politique de soutien à l'économie au prix d'un déficit budgétaire qui restera gigantesque, alors que le ressort passé de la croissance - l'endettement massif des ménages - est cassé pour longtemps. La masse de liquidités injectées par la Réserve fédérale américaine (Fed) dans l'économie ne suffit plus à rassurer les créanciers obligataires. Les forces centripètes sont à l'oeuvre dans la zone euro, où les pays les plus fragiles devraient encore souffrir de la récession.

Les capitaux flottants se placent massivement sur les marchés de matières premières, nourrissant une envolée des prix du pétrole, du blé ou du sucre qui frappe les pays pauvres importateurs. Empruntés à bas coût en dollars, ces capitaux spéculatifs vont aussi se placer à des taux d'intérêt plus élevés au Brésil, en Afrique du Sud ou en Turquie, déstabilisant ces pays dont la monnaie s'apprécie, tandis que le yuan chinois, étroitement contrôlé, reste sous-évalué.

Le financement de la croissance des pays émergents pose problème : la Chine a relancé le crédit et expose son système financier à l'explosion des prêts « non performants ». Plus prudents, le Brésil ou la Turquie auraient besoin de plus d'investissements directs, plutôt que des flux volatils qui abondent aujourd'hui...

Les cartes de l'économie mondiale sont rebattues par la crise, qui accentue et révèle des tendances à l'oeuvre depuis plusieurs années, gommant au passage la frontière entre pays émergents et pays développés tant leurs niveaux de risques convergent désormais, selon l'édition 2011 du colloque de Coface « Risque Pays », dont « Le Monde Economie » est partenaire.

« En dix ans, le risque pays a évolué de façon spectaculaire. Le risque des grands pays émergents est désormais mieux noté que celui de certains pays industrialisés : la Chine, l'Inde, le Brésil ou la Pologne, notés A3, dépassent la Grèce et l'Irlande, notés A4, ou le Portugal et l'Espagne, notés A3 avec surveillance négative », témoigne Yves Zlotowski, économiste en chef de Coface. La note de Coface mesure le niveau moyen de risque d'impayé présenté par les entreprises d'un pays.

Traditionnellement, les analystes insistaient sur la composante en devise de la dette des émergents, redoutant une crise de change. Cependant, dit M. Zlotowski, « la distinction entre pays émergents et industrialisés a de moins en moins de sens. La crise souveraine dans la zone euro est un coup de semonce : plus personne n'est à l'abri ».

Pour lui, c'est l'une des « croyances collectives d'avant-crise » qui tombe. L'absence de risque de change a facilité le surendettement de certains pays et a permis que leur déficit courant et leur dette totale - publique et privée - atteignent des niveaux bien supérieurs à ceux qui avaient déclenché naguère la crise russe ou la crise argentine. « Mais il arrive un moment où, même si vous êtes un pays développé et si vous avez l'euro, on ne vous prête plus, quel que soit le taux d'intérêt », analyse-t-il.

« On aurait tort de penser que les crises souveraines ne sont que le résultat d'une équation financière liée à la dette publique, ajoute François David, président de Coface. Dans l'histoire de ce type de crise, c'est le modèle de croissance et la capacité de l'Etat à mobiliser les ressources qui sont sanctionnés. Un chiffre me paraît parlant : en Irlande, modèle porté aux nues par les analystes anglo-saxons ces trente dernières années, les recettes budgétaires sont de dix points inférieures à la moyenne de la zone euro, et elles ont baissé depuis les années 1990 ! »

A l'inverse, l'accent aurait peut-être trop été mis - du point de vue de la prévision des incidents de paiement interentreprises - sur les failles de gouvernance dans les émergents : ils ont montré leur capacité à mener des politiques de relance et se sont bien sortis de la crise, comme la Chine, le Brésil, ou encore la Turquie, qui n'a pas fait appel au Fonds monétaire international (FMI).

Entrées de capitaux

Si le risque des pays émergents s'est atténué, il n'a pas disparu. L'un des enjeux de 2011 devrait être, pour le Brésil, l'Afrique du Sud et la Turquie, le contrôle des entrées de capitaux spéculatifs qui déstabilisent leurs économies en renchérissant leur devise et en pénalisant leurs exportations. L'Afrique du Sud et la Turquie pourraient hésiter à prendre des mesures comparables à la taxation des capitaux entrants adoptée par le Brésil, car elles n'attirent pas assez d'investissements directs et sont sans doute soucieuses de ne pas décourager les investisseurs étrangers.

La Chine, elle, maîtrise les entrées de capitaux en ne permettant que très progressivement la convertibilité de sa devise. « Elle agit selon son intérêt et ne devrait pas réévaluer rapidement le yuan, dont elle contrôle le taux de change, se bornant à reprendre un rythme de hausse annuel de 3 % face au dollar, comme avant la crise », prévoit M. Zlotowski.

Qu'anticiper, dans ce contexte, pour 2011 ? Coface se montre d'un optimisme modéré pour les Etats-Unis, en n'envisageant qu'une hausse de 2,1 % du produit intérieur brut (PIB) américain, notamment à cause des conflits potentiels entre un Congrès républicain et le président démocrate, Barack Obama. Au-delà des mesures de soutien à la croissance en 2011, l'économie américaine se normalise et se désendette, ce qui pèsera durablement sur l'activité.

Les stigmates de la crise ne sont pas effacés dans le tissu économique aux Etats-Unis ni en Allemagne ou en France qui, tous trois notés A2 avec une surveillance positive, n'ont pas retrouvé leur sésame (A1) antérieur. Le Royaume-Uni (A3 avec surveillance positive) et l'Italie (A3) sont dans une situation plus difficile.

Surtout, poursuit M. Zlotowski, d'autres pays de la zone euro s'enfoncent dans un état beaucoup plus préoccupant : « Je doute très fortement que le Portugal [A3, surveillance négative], la Grèce [A4], l'Irlande [A4] ou l'Espagne [A3, surveillance négative] reviennent à leurs niveaux précédant la crise en 2011. Les trois premiers devraient en effet continuer à souffrir de la récession. Un appel à l'aide multilatérale est possible au Portugal. »

Mais le sauvetage financier n'apporte pas de réponse de long terme aux problèmes économiques : « Il est toujours assorti de conditionnalités qui constituent l'élément le plus délicat du sauvetage, comme l'ont toujours illustré les grandes crises souveraines émergentes. Plus on avance dans le temps et plus la capacité des gouvernements à faire passer des politiques d'austérité est faible, car il y a un phénomène de lassitude. » Sur l'ensemble de la zone euro, la croissance ne dépasserait pas globalement 1,4 % en 2011, selon Coface.

Enfin, « last but not least », les risques restent très présents en Europe centrale et orientale, qui renoue faiblement avec la croissance : Coface prévoit 3,5 % en 2011, contre 5 % à 7 % avant la crise. La Roumanie, la Hongrie et les pays baltes doivent aussi se désintoxiquer de la dette, ce qui pèsera durablement sur leur dynamisme. « Une forte volatilité des taux de change est à attendre en Roumanie et en Hongrie, compte tenu de la faible lisibilité des politiques économiques, ce qui sera dangereux compte tenu du poids de l'endettement privé en devise », prévient M. Zlotowski. Plus complexe, plus incertaine, l'analyse des risques ne chômera pas cette année.

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