Le nouveau monde polycentrique ne doit pas seulement être analysé sous l'angle des menaces. L'ouverture de négociations par Berne et Pékin en vue d'un accord de libre-échange est emblématique des nouvelles opportunités qui se dessinent
Le monde retrouve peu à peu son équilibre historique. Les pays les plus peuplés sont aussi ceux dont l'économie est la plus large. Cet ajustement, diraient les économistes, inquiète. Car si tout le monde admet que l'industrialisation de la Chine, et des nouveaux pays émergents qui lui emboîtent le pas, constitue un progrès pour des millions d'hommes et de femmes, l'équilibre politique du monde s'en trouve chamboulé. La Chine impressionne, bien sûr, mais son économie demeure intrinsèquement instable. Le pays entre dans une transition délicate: les exportations seules ne pourront pas éternellement alimenter les énormes ambitions du pays; l'élite présente à Davos le reconnaît. La deuxième puissance économique du monde va au-devant de réformes qui comportent des risques économiques, sociaux, et pour tout dire politiques. A croire beaucoup d'experts, la Chine serait arrivée à un stade de développement où les forces du marché intérieur prennent le relais nécessaire des exportations. Mais ce même marché intérieur l'exposera plus brutalement aux conflits inévitables sur la répartition des richesses.
Les Etats-Unis et l'Europe sont, eux, riches mais en panne. En panne de croissance, ils peinent à affirmer leurs valeurs dans une société où les technologies accélèrent les changements et abolissent les frontières.
A Davos, les dirigeants occidentaux mesurent à quel point les rapports de force changent, à quel point les élites des nouveaux mondes sont plus sûres d'elles-mêmes et osent remettre en cause une gouvernance mise en place au XXe siècle.
Ce monde en mouvement se manifeste aussi là où on ne l'attendait peut-être pas. Il ne s'agit plus seulement d'échanges commerciaux mais de l'émergence rapide d'une économie de la connaissance, d'influences culturelles nouvelles. L'appétit immense des dragons et tigres semble insatiable. Et sans doute ébranle-t-il beaucoup de certitudes. Le monde polycentrique ne doit pourtant pas être analysé que sous l'angle des menaces. Bien au contraire. En engageant des négociations de libre-échange avec la Chine, la Suisse abat une carte intelligente à un moment clé: elle qui fut à l'avant-garde de la révolution industrielle joue juste dans une société de la connaissance, qui donne aux petits pays des chances comparables à celles des géants. Et ce n'est sans doute pas un hasard si l'Empire du Milieu a choisi la Suisse comme partenaire pour faire ses armes dans l'apprentissage du libre-échange.
Nouvelle voie Chine-Suisse - Les négociations sur le libre-échange ont débuté
Harmonie, accélération et ouverture. Voilà les trois mots clés qui résument ce qu'André Kudelski, Daniel Vasella et Hans-Ulrich Dörig attendent de l'accord de libre-échange entre la Suisse et la Chine. Sa négociation a été lancée vendredi à Davos par le conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann et le ministre chinois du Commerce, Chen Deming. «J'espère que cela permettra de travailler de manière encore plus harmonieuse et simple», selon le patron du groupe technologique Kudelski, croisé dans le Centre de congrès du WEF. Le Vaudois, qui emploie plus de 300 personnes en Chine et y fournit des solutions pour la télévision, se réjouit de la «volonté de davantage collaborer» entre les deux pays.
Le président de Novartis avait fait le déplacement pour assister à l'événement. Daniel Vasella aimerait que l'accord «accélère les procédures. Actuellement, envoyer des substances de notre centre à Bâle à celui de Shanghai peut prendre des semaines.» Le président de Credit Suisse, également présent à la cérémonie, estime qu'«il est important d'avoir un bon accès à la Chine. Aujourd'hui, il est très compliqué pour une banque universelle comme la nôtre en Suisse de l'être aussi là-bas. A l'inverse, une banque chinoise peut sans difficulté acheter un établissement ici.»
Les négociations porteront sur les biens et les services, ont déclaré Johann Schneider-Ammann et son homologue chinois. Le premier a cité l'industrie des machines, la pharma ou la chimie, mais encore les services financiers. La propriété intellectuelle et le développement durable font partie du paquet. Chen Deming a toutefois précisé que la question des droits sociaux n'était pas directement liée aux négociations.
De janvier à novembre 2010, les exportations de marchandises suisses vers la Chine ont atteint 6,7 milliards de francs (+34%), les importations 5,6 milliards de francs (+18%). L'étude de faisabilité publiée en septembre estimait que l'accord ajouterait un quart de point de croissance annuel à l'économie suisse.
Les droits de douane seront réduits de 10% en moyenne, selon Berne. A titre d'exemple, les produits horlogers sont taxés entre 11 et 20%. En avril 2006, Pékin a introduit une taxe à la consommation de 20% sur les montres d'une valeur supérieure à 10?000 renmimbi (1600 francs), relève la Fédération horlogère.
Bastien Buss
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