mardi 18 janvier 2011

CINÉMA - I Wish I Knew par Jia Zhangke

Le Monde - Culture, mercredi, 19 janvier 2011, p. 20

Des paroles qui font resurgir l'histoire de la Chine

Voilà plus de quatre ans que Jia Zhang-ke a donné sa dernière fiction longue, Still Life, Lion d'or à Venise en 2006. Depuis, si l'on met à part le magnifique court-métrage Cry Me a River, présenté, toujours à la Mostra, en 2008, le cinéaste a changé de méthode, mais pas de matière. Il reste le témoin et le peintre du mouvement de la Chine, de cette mutation permanente dont il capte à la fois la force tellurique et les effets les plus intimes, mais il opère directement sur la réalité.

I Wish I Knew est son quatrième documentaire d'affilée. Le second qu'il consacre à une ville. Après s'être fait le chroniqueur de la disparition du prolétariat de Chengdu dans 24 City, Jia Zhang-ke fouille dans la mémoire de Shanghaï, la plus grande ville de Chine, la plus extravertie sans doute. Plaque tournante du commerce de l'opium, porte d'entrée des puissances étrangères en Chine, terrain d'affrontement entre les forces politiques après la chute du système impérial, Shanghaï fonctionne comme une espèce d'immense distillerie d'histoire et d'histoires.

Jia Zhang-ke a entrepris de recueillir les paroles des dépositaires de cette mémoire. I Wish I Knew est donc essentiellement fait de témoignages qui déroulent le fil de l'histoire de la fin de l'empire à celle de la Révolution culturelle. On entend aussi bien une quasi-centenaire, Chang Hsin-I, descendante d'une dynastie de lettrés et de militaires, qui évoque les moeurs de la haute société entre les deux guerres mondiales, qu'une héroïne du travail socialiste qui rencontra Mao Zedong.

A cet échelonnement dans le temps répond un éclatement géographique. Dernière grande ville tenue par le Kuomintang (parti nationaliste chinois) en 1949, Shanghaï fut le point de départ de la diaspora nationaliste, vers Hongkong, Taïwan, ou plus loin encore. La fille d'une figure légendaire de la pègre des années 1930 est aujourd'hui restauratrice à Amman.

Filmés comme des acteurs

Si Jia Zhang-ke s'était contenté de choisir et de faire parler sa petite vingtaine d'interlocuteurs, la pertinence de sa sélection et de ses questions suffirait à en faire un historien de premier rang. Mais il est avant tout cinéaste, et I Wish I Knew est bien plus qu'un simple alignement de témoignages. Cela tient d'abord à la qualité de l'image de Yu Lik-wai, le chef opérateur; il filme les témoins comme s'ils étaient des acteurs, avec la même attention aux ombres qui passent sur les visages, avec le même désir d'exprimer à travers le cadre ou les mouvements de caméra les émotions qui traversent ces personnages.

Et, surtout, Jia Zhang-ke revient sans cesse au cinéma, aux films que l'histoire de Shanghaï a produits. Lorsqu'il fait intervenir Barbara Fei, fille du cinéaste Fei Mu, il montre un extrait du magnifique Printemps dans une petite ville (2004). Réalisé juste après la fin de la guerre civile, distribué en 1951, ce mélodrame déchirant montre ce qu'aurait pu être le cinéma chinois si le torrent de la propagande ne l'avait pas emporté.

I Wish I Knew fait coexister des extraits de ces films faits pour édifier les masses et les témoignages d'artistes qui ont exercé - délibérément s'ils sont assez vieux, pour suivre leurs parents pour les plus jeunes - à Hongkong ou à Taïwan. On entend ainsi le maître du cinéma de la Grande Ile, Hou Hsiao-hsien (qui a quitté la Chine continentale à l'âge de 1 an), exprimer son attachement et sa fascination pour les moeurs de Shanghaï, qu'il a exprimés dans Les Fleurs de Shanghai (1998).

Ces blocs d'histoire et de cinéma sont liés entre eux par des espèces d'interludes qui montrent l'actrice d'élection de Jia Zhang-ke, Zhao Tao, que l'on voit errant dans les rues de Shanghaï, où l'histoire est soit effacée soit plastifiée par les lois du tourisme mondial. La grâce de l'actrice et la beauté des images ne suffisent pas tout à fait à légitimer le procédé. Cette imperfection - rare chez le réalisateur - est peut-être le signe d'une impatience à regagner la fiction, à se lancer dans le grand oeuvre historique maintes fois annoncé. On aimerait savoir.

Thomas Sotinel

Documentaire chinois de Jia Zhang-ke. (1 h 58.)

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